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quand je le gaspillais en mille entreprises ? Herder, qui faisait grande attention aux livres, parce qu’il en avait besoin à chaque instant, remarqua, dès sa première visite, ma belle collection, mais il vit bientôt que je n’en faisais aucun usage, et lui, le plus grand ennemi de l’apparence et de l’ostentation, il avait coutume de me railler là-dessus dans l’occasion.

Je me rappelle encore une épigramme qu’il m’envoya, un soir que je lui avais beaucoup parlé de la galerie de Dresde. A la vérité, je n’avais pas encore senti ce qu’il y a de plus élevé dans l’école italienne, mais Dominique Feti, artiste remarquable, quoique humoriste, et qui, par conséquent, n’est pas de premier ordre, m’avait beaucoup plu. On voulait des tableaux religieux : il se borna aux paraboles du Nouveau Testament, et il les traitait volontiers, avec beaucoup d’originalité, de goût et de bonne humeur. Par là il les rapprochait tout à fait de la vie ordinaire, et les détails aussi spirituels que naïfs de ses compositions, que faisait valoir un libre pinceau, avaient produit sur moi une vive impression. Herder se moqua de mon enthousiasme enfantin dans l’épigramme suivante : « Par sympathie, un maître me plaît surtout : Dominique Feti est son nom. Il parodie si joliment les paraboles de la Bible en fables de fous, par sympathie ! 0 folle parabole ! » Je pourrais encore citer d’autres boutades, plus ou moins gaies ou abstruses, joviales ou amères. Elles ne me fâchaient point, mais elles m’étaient importunes. Toutefois, comme je savais estimer à haut prix tout ce qui contribuait à mon développement, et que j’avais même abandonné plusieurs fois des opinions et des inclinations antérieures, je m’accoutumai bientôt à son humeur, et m’attachai seulement à distinguer, autant que cela m’était possible, au point de vue où j’étais alors, les critiques fondées des invectives injustes. Aussi n’y avait-il pas de jour qui ne fût pour moi fertile eu leçons excellentes. J’appris à connaître la poésie sous une face toute nouvelle et dans un esprit tout nouveau, que je trouvai fort à mon gré. La poésie hébraïque, qu’il traitait avec génie, d’après son devancier Lowth ; la poésie populaire, dont il nous encourageait à rechercher les traditions en Alsace, les plus antiques documents, considérés au point de vue poétique, témoignaient que la poésie est un don universel et populaire, et