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nous jouait sur la flûte douce quelque chose de facile à trois temps, et nous dansions en mesure de notre mieux. J’avais vu d’ailleurs, dès mon enfance, au théâtre français, sinon des ballets, du moins des pas seuls, des pas de deux, où j’avais observé d’étranges mouvements des pieds et des sauts de toute espèce. Quand nous étions las du menuet, je priais mon père de nous jouer d’autres danses, telles que les livres de musique les offraient en foule dans leurs gigues et leurs murkis, et je trouvais d’abord les pas et les autres mouvements, car j’avais naturellement et de naissance le sentiment de la mesure. Cela amusait assez mon père, et il prenait quelquefois et nous donnait le divertissement de faire danser les singes de même sorte. Après ma triste aventure avec Marguerite, et pendant tout mon séjour à Leipzig, je n’avais plus pratiqué la danse. Je me souviens même qu’ayant été forcé dans un bal de danser un menuet, je parus avoir oublié la mesure et les mouvements ; je ne me souvenais ni des pas ni des figures, en sorte que j’en serais sorti à ma honte, si la plupart des spectateurs n’avaient soutenu que ma gaucherie n’était que de l’entêtement, afin d’ôter aux dames toute envie de me demander malgré moi, et de m’entraîner dans leurs rangs. Pendant mon séjour à Francfort, tout amusement de ce genre m’avait manqué. Mais, à Strasbourg, je retrouvai, avec les autres plaisirs, le goût de la danse. Les dimanches, comme les jours ouvriers, on ne passait devant aucun lieu de plaisir sans y trouver une joyeuse troupe réunie pour danser, et surtout pour valser. On donnait aussi des bals particuliers dans les maisons de campagne, et déjà l’on parlait des brillantes redoutes de l’hiver. Je m’y serais trouvé déplacé et inutile à la compagnie : un ami, qui valsait fort bien, me conseilla de m’exercer dans des sociétés moins choisies, afin de pouvoir figurer ensuite dans la meilleure. Il me conduisit chez un maître de danse qui était connu pour habile. Le maître me promit que, si je voulais seulement répéter un peu les principes et me les rendre familiers, il me mènerait ensuite plus loin. C’était une de ces natures françaises qui ont la précision et l’adresse. Il me fit un gracieux accueil. Je lui payai le mois d’avance ; il me donna douze cachets, et nous réglâmes nos heures. Il était sévère, exact, mais sans pédan-