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piliers reculant par degrés, accompagnés de petites constructions ogivales, élancées, qui s’élèvent aussi vers le ciel avec leurs colonnes légères, et qui sont destinées à protéger, en forme de dais, les statues des saints ; enfin chaque nervure, chaque saillie, apparaissant comme bouton de fleur, comme rangée de feuilles, ou comme un autre objet naturel, transformée en pensée de pierre ; qu’on étudie, sinon l’édifice lui-même, du moins les dessins de l’ensemble et des détails, pour juger et vivifier mes paroles : on les trouvera peut-être exagérées, car moi-même, qui me sentis, il est vrai, dès le premier coup d’œil, un vif attrait pour cet édifice, il me fallut beaucoup de temps pour me pénétrer de sa beauté.

Élevé parmi les détracteurs de l’architecture gothique, je nourrissais mon antipathie pour ces ornements confus, entassés de mille manières, dont le chois arbitraire rendait extrêmement désagréable un caractère religieux et sombre ; je me fortifiai dans celle répugnance, parce que je n’avais vu dans ce genre que des œuvres sans génie, où l’on ne découvre ni de bonnes proportions ni une harmonie pure. Mais ici je crus assister à une révélation nouvelle ; ce que j’avais dû blâmer autrefois ne se montrait plus : c’était tout le contraire qui frappait mon regard.

En poursuivant mes études et mes réflexions, je crus découvrir dans l’œuvre de plus grands mérites encore. J’avais reconnu l’exacte convenance des parties principales ; l’ornementation, aussi ingénieuse que riche jusque dans les plus petits détails : maintenant je reconnaissais la liaison de ces divers ornements entre eux, le passage d’une partie principale à une autre, l’entrelacement de détails homogènes, il est vrai, mais infiniment divers dans leurs formes, depuis le sacré jusqu’au monstrueux, depuis la feuille jusqu’à la pointe. Plus j’observais, plus j’étais saisi d’étonnement ; plus je m’occupais et me fatiguais à mesurer et à dessiner, plus je me sentais attaché, si bien que j’employai beaucoup de temps, soit à étudier ce qui existait, soit à rétablir, par la pensée et sur le papier, ce qui manquait, ce qui était inachevé, principalement dans les tours.

Et comme je trouvais cet édifice bâti sur une ancienne terre allemande, et sa construction si avancée dans une époque tout allemande ; que le nom du maître, gravé sur sa tombe modeste, était aussi allemand de consonance et d’origine : encouragé par la beauté du monument, je hasardai de changer le nom, jusqu’alors décrié, de l’architecture gothique, et de la revendiquer pour notre nation comme architecture allemande ; et, d’abord de vive voix, puis dans un petit mémoire, dédié aux mânes d’Erwin de Steinbach, je ne manquai pas de mettre au jour mes sentiments patriotiques.

Si je poursuis ma biographie jusqu’à l’époque où parut cet écrit, que Herder inséra plus tard dans sa brochure Sur la manière et l’art allemand, j’ajouterai quelques réflexions sur cet objet important. Mais, avant de quitter ce sujet, je saisirai l’occasion de justifier auprès de ceux à qui elle pourrait laisser quelque » doutes, l’épigraphe que j’ai placée en tête de cette partie. Je sais fort bien qu’on pourrait opposer plus d’une expérience contraire, trouver beaucoup à dire au vieux proverbe allemand, si consolant et si bon : « Ce qu’on désire dans la jeunesse on l’a dans la