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passa en revue tous les incidents de notre promenade, s’en servit pour invectiver éloquemment contre lui-même, et finit par évoquer de nouveau la sorcière : il était si troublé, que je craignais de le voir se précipiter dans le Rhin. Si j’avais été sûr de pouvoir le repêcher d’abord, comme Mentor son Télémaque, passe encore ! je l’aurais ramené rafraîchi à la maison.

Je contai aussitôt l’affaire à Lerse, et nous nous rendîmes le lendemain chez le jeune homme, que mon ami fit bien rire avec sa brusquerie. Nous convînmes de ménager une sorte de rencontre, qui amènerait une réconciliation. Le plus drôle, c’est que, cette fois encore, la mauvaise humeur du capitaine s’était évanouie dans le sommeil, et qu’il se trouva tout disposé à radoucir le jeune homme, qui, de son côté, ne tenait nullement à avoir une affaire. Tout fut arrangé dans une matinée, et, comme l’aventure s’ébruita quelque peu, je ne pus échapper aux plaisanteries de mes amis, qui auraient pu me prédire par leur propre expérience combien me serait incommode, dans l’occasion, l’amitié du capitaine.


En cherchant à me rappeler ce que j’aurais encore à dire, un jeu singulier de la mémoire représente à ma pensée la vénérable cathédrale, à laquelle je donnais alors une attention particulière, et qui d’ailleurs, dans la ville ou dans la campagne, s’offrait constamment aux regards. Plus j’en considérais la façade, plus se fortifiait et se développait ma première impression, que le sublime s’y trouve uni avec le gracieux. Pour que le colossal, quand il se présente à nous comme masse, ne nous effraye pas ; pour qu’il ne nous trouble pas, quand nous cherchons à en approfondir les détails, il faut que, par une alliance contre nature, et qui semble impossible, il se marie à l’agréable. Et comme nous ne pouvons exprimer l’effet de la cathédrale qu’en supposant unies ces deux qualités incompatibles, nous voyons dès là quelle haute estime nous devons faire de ce vieux monument, et nous allons nous attacher à exposer de quelle manière des éléments si contraires ont pu se concilier, se pénétrer et s’unir.

Sans nous occuper encore des tours, considérons d’abord uniquement la façade, qui dresse devant nous sa masse imposante, sous la forme d’un carré long. Si nous en approchons pendant le crépuscule, au clair de la lune, par une nuit étoilée, où les parties deviennent plus ou moins indistinctes et finissent par disparaître, nous ne voyons qu’une muraille colossale, dont la hauteur et la largeur offrent une proportion satisfaisante. Si nous la considérons de jour, et si, par un effort de la pensée, nous faisons abstraction des détails, nous y reconnaissons la façade d’un édifice, dont elle clôt les espaces intérieurs et couvre même aussi bien