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général, elle me plaisait aussi dans son ingénuité et sa naïveté, il pouvait s’entendre avec moi tout au mieux. La direction de son esprit m’était agréable, et je laissais sans atteinte sa croyance au merveilleux, qui le servait si bien. Salzmann le traitait aussi avec ménagement : je dis avec ménagement, parce que, par son caractère, son âge et sa position, Salzmann devait être du nombre des chrétiens raisonnables ou plutôt intelligents, dont la religion repose sur la droiture naturelle, sur une mâle indépendance, et, par conséquent, ne donne guère dans le sentiment, qui pourrait aisément les conduire à la mélancolie, ni dans l’exaltation, qui les mènerait bien vite aux ténèbres. Cette classe était respectable et nombreuse aussi ; tous ces hommes d’honneur et de mérite s’entendaient ; leurs convictions, leur vie, étaient les mêmes.

Un de nos convives, nommé Lerse, était de ce nombre. Ce jeune homme, d’une honnêteté irréprochable, usait de ses modiques ressources avec une rigoureuse économie ; sa manière de vivre et de s’entretenir était la plus étroite que j’eusse encore observée chez un étudiant. Il était de nous tous le plus proprement vêtu, et pourtant on lui voyait toujours les mêmes habits. Mais il avait le plus grand soin de sa garde-robe ; il maintenait la propreté autour de lui, et il voulait aussi la voir observée en tout, à son exemple, dans la vie ordinaire. Il ne lui arrivait pas de s’appuyer où que ce fût ni de s’accouder sur la table. Jamais il n’oubliait de marquer sa serviette, et malheur à la servante, si les chaises n’étaient pas trouvées parfaitement propres. Avec tout cela, il n’avait rien de roide dans son extérieur. Son langage était cordial, précis, sec et vif, avec une ironie badine et légère, qui lui allait très-bien. Il avait la taille bien prise, élancée, de grandeur moyenne ; sa figure, gravée de petite vérole, était peu remarquable ; ses petits yeux bleus étaient sereins et pénétrants. Outre qu’il avait lieu, à bien des égards, de nous régenter, nous l’avions fait encore notre maître d’armes, car il maniait fort bien l’épée. Il s’amusait alors à mettre en usage toute la pédanterie du métier. Aussi faisions-nous avec lui des progrès réels, et il nous fit passer bien des heures agréables dans un exercice salutaire.

Avec tous ces mérites, Lerse était parfaitement qualitié pour