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traînées. Ils donnèrent à l’être infini la faculté de s’étendre, de se mouvoir vers eux ; le véritable courant de la vie fut rétabli, et Lucifer lui-même ne put se soustraire à cette influence. C’est l’époque où parut ce que nous appelons lumière, et où commença ce que nous avons coutume de désigner par le mot de création. Mais, à quelque point qu’elle se fût graduellement diversifiée par la force vitale, sans cesse agissante, des Élohim, il manquait un être qui fût propre à rétablir l’union primitive avec la divinité : alors fut créé l’homme, qui dut être semblable et même égal en tout à la Divinité, mais qui, à son tour, se trouva de la sorte dans le cas de Lucifer, c’est-à-dire à la fois absolu et limité ; et, comme cette contradiction devait se manifester en lui dans toutes les phases de l’existence, et qu’une conscience parfaite, tout comme une volonté décidée, devait être l’apanage de sa condition, on pouvait prévoir qu’il serait à la fois la plus parfaite et la plus imparfaite, la plus heureuse et la plus malheureuse des créatures. Il ne tarda pas longtemps à jouer lui-même tout le rôle de Lucifer. Se séparer du bienfaiteur est la véritable ingratitude, et la chute allait s’accomplir pour la seconde fois : au reste, la création tout entière n’est pas et n’a pas été autre chose qu’une séparation et un retour à l’origine.

On voit aisément que, dans ce système, la rédemption est non-seulement résolue de toute éternité, mais considérée comme éternellement nécessaire, et qu’elle doit se renouveler sans cesse pendant toute la durée de la naissance de l’être. Dans ce sens, rien de plus naturel que de voir la Divinité, qui s’était déjà préparée à revêtir une enveloppe, prendre la figure de l’homme et partager son sort pour un peu de temps, afin d’exalter la joie et d’adoucir la douleur par cette assimilation. L’histoire de toutes les religions et de toutes les philosophies nous apprend que cette grande vérité, indispensable aux hommes, a été transmise par diverses nations en divers temps et de mille manières, même dans des fables et des images étranges, telles que l’ignorance pouvait les produire ; mais il suffit qu’on reconnaisse que nous nous trouvons dans une situation qui, tout en paraissant nous abaisser et nous écraser, nous donne occasion, nous fait même un devoir, de nous élever et