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nature humaine possède une sorte de ténacité et de multiformité qui fait qu’elle surmonte tout ce qui vient à elle ou qu’elle l’absorbe, et que, si elle ne peut se l’assimiler, du moins elle le neutralise. Sans doute, après un grand excès, il faut, nonobstant toute résistance, qu’elle cède aux éléments, comme nous l’attestent tant de maladies endémiques et les effets de l’eau-de-vie. Si nous pouvions, sans angoisse, nous observer et voir ce qui agit favorablement ou défavorablement sur notre vie civile et sociale, si compliquée, et, si nous voulions renoncer, à cause des suites fâcheuses, à ce qui nous plaît comme jouissance, nous saurions éloigner aisément de nombreuses incommodités, dont un homme, d’ailleurs bien constitué, souffre parfois plus que d’une maladie ; malheureusement, il en est de l’hygiène comme de la morale : nous ne voyons une faute qu’après y avoir échappé, et à cela nous ne gagnons rien, parce que la faute suivante ne ressemble point à celle qui la précède, et ne se présentant pas sous la même forme ne peut être reconnue.

En parcourant les lettres que j’écrivais de Leipzig à ma sœur, je dus observer entre autres choses que, dès le début de mes études universitaires, je m’étais cru d’abord très-sage et très-habile, car, aussitôt que j’avais appris quelque chose, je me substituais au professeur, et je faisais sur-le-champ le pédagogue. Je riais de voir comme j’adressais d’abord à ma sœur ce que Gellert nous avait enseigné ou conseillé, sans réfléchir qu’une chose peut être appropriée au jeune homme pour sa conduite et ses lectures, mais ne pas convenir à une jeune demoiselle ; et nous plaisantions ensemble de ces singeries. Les poésies aussi que j’avais composées à Leipzig étaient déjà trop faibles à mes yeux ; elles me semblaient froides, sèches et, pour l’expression des états divers du cœur et de l’esprit humain, beaucoup trop superficielles. En conséquence, au moment de quitter pour la seconde fois la maison paternelle et de me rendre dans une nouvelle université, je résolus de faire encore de mes travaux un grand auto-da-fé. Nombre de pièces commencées, dont quelques-unes étaient arrivées au troisième ou quatrième acte, d’autres seulement jusqu’à la fin de l’exposition, ainsi que beaucoup d’autres poésies, des lettres, des écrits