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clientelle, c’était le talent qu’il avait de tenir en réserve certains remèdes mystérieux, qu’il préparait lui-même et dont personne ne devait parler, parce que chez nous il était sévèrement défendu aux médecins de manipuler eux-mêmes. Il parlait plus ouvertement de certaines poudres, qui étaient, je pense, quelque digestif. Quant à ce sel admirable, qu’on ne devait employer que dans les cas les plus dangereux, il n’en était question qu’entre les fidèles, quoique personne encore ne l’eût vu et n’en eût ressenti l’effet. Pour exciter et fortifier la croyance à ce remède universel, le médecin avait recommandé à ses malades, s’il les trouvait quelque peu crédules, certains livres mystiques, mélange de chimie et d’alchimie, et leur avait donné à entendre qu’en les étudiant, on pouvait parvenir à se mettre soi-même en possession de ce joyau : ce qui était d’autant plus nécessaire que, par des causes physiques et surtout par des causes morales, la recette ne pouvait guère se transmettre ; que même, pour approfondir ce grand œuvre, pour le produire et le mettre en usage, il fallait apprendre à connaître, dans leur enchaînement, les mystères de la nature ; car ce n’était pas quelque chose d’isolé, mais d’universel, et qui pouvait même être produit sous diverses formes et diverses figures. Mon amie avait prêté l’oreille à ce séduisant langage. La santé du corps était trop étroitement unie à la santé de l’âme. Et pourrait-on jamais faire au prochain un bien plus grand, lui témoigner une plus grande compassion, qu’en s’appropriant un moyen d’apaiser tant de douleurs, d’écarter tant de périls ? Déjà elle avait étudié en secret le Opus mago-cabbalisticum de Welling ; mais, comme l’auteur obscurcit et fait disparaître aussitôt la lumière qu’il communique, elle cherchait un ami qui lui tînt compagnie dansées alternatives de lumière et d’obscurité. Elle n’eut pas besoin de grands efforts pour m’inoculer aussi cette maladie. Je me procurai l’ouvrage qui, de même que tous les écrits de cette espèce, descendait en droite ligne de l’école néo-platonicienne. Je m’attachai surtout, en lisant ce livre, à noter avec la plus grande exactitude les indications obscures où l’auteur renvoie d’un endroit à un autre, et promet ainsi de dévoiler ce qu’il cache, et j’inscrivis en marge les numéros des pages de ces endroits qui devaient s’éclaircir les uns les autres ; mais,