Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui avoir refusé ou empoisonné, pendant ces trois années, tant d’innocents plaisirs, et ne voulait absolument reconnaître aucune de ses excellentes qualités. Elle faisait tout ce qu’il prescrivait et ordonnait, mais elle le faisait de la plus mauvaise grâce du monde ; elle le faisait dans l’ordre accoutumé, rien de plus, rien de moins. Elle ne se pliait à aucune chose par affection ou par complaisance, et ce fut un des premiers sujets sur lesquels notre mère me fit ses plaintes secrètes. Mais, comme ma sœur, autant que personne au monde, avait besoin d’affection, elle me voua toute sa tendresse. Ses soins pour me guérir et me distraire absorbaient tout son temps ; ses amies, qu’elle dominait sans y songer, durent chercher de leur côté tous les moyens de me divertir et de me consoler. Elle était ingénieuse pour me réjouir, et développa même quelques germes d’une humeur bouffonne, que je ne lui avais jamais connue et qui lui allait fort bien. Il s’établit bientôt entre nous un langage de coterie, à l’aide duquel nous pouvions nous entretenir devant tout le monde sans être compris de personne, et souvent elle se servait de cet argot avec hardiesse en présence de nos parents.

Pour mon père, il était dans un état assez satisfaisant. Il se portait bien ; les leçons qu’il donnait à ma sœur l’occupaient une grande partie du jour ; il écrivait sa relation de voyage ; il passait à accorder son luth plus de temps qu’il n’en jouait. Il dissimulait de son mieux son chagrin de se voir, au lieu d’un fils robuste, actif, prêt à prendre.’es degrés et à parcourir la carrière prescrite, un enfant maladif, qui paraissait plus souffrir encore de l’âme que du corps. Il ne cachait pas son désir que l’on put abréger le traitement ; mais il fallait surtout se garder en sa présence de toute parole sentant l’hypocondrie, car elle provoquait son impatience et sa colère.

Ma mère, naturellement vive et gaie, passait, dans ces circonstances, de bien tristes jours. Son petit ménage lui demandait peu de temps. Cette âme si bonne, qui n’était jamais désoccupée, avait besoin de prendre intérêt à quelque chose, et la religion s’offrait la première. Elle s’y attacha d’autant plus volontiers que ses meilleures amies étaient d’une piété éclairée et sincère. Dans le nombre se distinguait Mlle de Klettenberg. C’est de ses conversations et de ses lettres que sont nées les