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cuses de ce qu’il ne viendrait qu’un peu plus tard, ajoutant que je devais voir sans surprise tout ce qui pourrait se passer ; je n’aurais d’ailleurs que mon écot à payer. Je ne comprenais rien à ce langage, mais les toiles d’araignée de mon père me revinrent à l’esprit, et je me tins sur la réserve pour attendre ce qui pourrait arriver. La société se réunit, ma nouvelle connaissance me présenta, et je ne tardai pas à m’apercevoir qu’il s’agissait de mystifier un jeune homme, qui, en véritable novice, se distinguait par ses prétentions et son impertinence. Je me tins soigneusement sur mes gardes, afin qu’on ne prît pas fantaisie de m’associer à lui. À table, l’intention que j’ai signalée parut toujours plus évidente à chacun : lui seul ne voyait rien. Les buveurs s’échauffèrent de plus en plus, et, à la fin, ayant poussé un vivat en l’honneur de sa bien-aimée, chacun jura haut et clair que nul ne devait plus boire dans ces verres ; on les jeta derrière soi, et ce fut le signal de plus grandes folies. Enfin je me dérobai tout doucement, et le garçon, qui n’exigea de moi qu’un écot très-modeste, me pria de revenir, assurant qu’on ne faisait pas autant de bruit tous les soirs. Je demeurais loin de là, et il était près de minuit quand j’arrivai. Je trouvai les portes ouvertes, tout le monde était couché, et une lampe éclairait l’étroite demeure, où mon œil, toujours plus exercé, reconnut sur-le-champ le plus beau tableau de Schalken, dont je ne pouvais me séparer, au point que je n’en fermai pas les yeux.

Je consacrai uniquement à la galerie de tableaux le peu de jours que je passai à Dresde. Les antiques étaient encore dans les pavillons du grand jardin. Je refusai de les voir, comme toutes les autres raretés que Dresde renfermait, trop persuadé que, même dans la galerie des tableaux, il devait rester encore bien des choses cachées pour moi. Car j’acceptais plutôt de confiance le mérite des maîtres italiens, que je ne pouvais prétendre à le discerner. Ce que je ne pouvais voir comme nature, mettre à la place de la nature, comparer avec un objet connu, était sur moi sans effet. L’impression matérielle est le premier degré qui mène dans les arts à toute jouissance plus élevée.

Je m’arrangeais fort bien avec mon cordonnier. Il était spirituel et assez varié, et nous faisions quelquefois assaut de rail-