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moi-même et par les autres plus d’une expérience douloureuse et humiliante. Pour me soulager, je projetai plusieurs pièces de théâtre, et j’écrivis l’exposition de la plupart. Mais, comme l’intrigue devait toujours prendre un caractère sombre, je les laissai tomber l’une après l’autre. Les Complices sont la seule que j’aie terminée. Son caractère gai et burlesque se montre sur le sombre intérieur de famille, accompagné de quelque chose qui oppresse, en sorte qu’à la représentation, elle serre le cœur dans l’ensemble, si elle amuse dans les détails. Les actions illégitimes exprimées crûment blessent le sentiment esthétique et moral : c’est pourquoi la pièce n’a pu réussir sur la scène allemande, tandis que les imitations qui ont évité ces écueils ont été reçues avec applaudissements.

Cependant, sans m’en rendre compte, j’écrivis ces deux pièces à un point de vue plus élevé. Elles annoncent une indulgence prudente dans l’imputation morale, et expriment d’une manière badine, en traits un peu durs et tranchants, cette parole éminemment chrétienne : « Que celui qui se sent exempt de péché jette la première pierre. »

Indépendamment de ce caractère sérieux dont mes premières pièces étaient assombries, je commis la faute de négliger des motifs très-favorables qui se trouvaient, d’une manière tout à fait prononcée, dans ma nature. En effet, au milieu de ces graves expériences, redoutables pour un jeune homme, il se développa chez moi une humeur audacieuse, qui se sent au-dessus du moment présent, ne craint nullement le péril, et même le convie étourdiment. Cela tenait au fond à l’orgueil, dans lequel l’âge de la force trouve tant de plaisir, et dont l’expression bouffonne nous est si agréable, soit au moment même, soit dans le souvenir. Ces choses sont si ordinaires, que, dans le vocabulaire de nos jeunes étudiants, elles sont nommées suites, et que l’on dit aussi bien (à cause de la proche parenté) Suiten reissen (faire des suites) que Possen reissen (faire des farces).

Ces hardiesses humoristiques, produites sur la scène avec du sens et de l’esprit, sont du plus grand effet. Elles se distinguent de l’intrigue, en ce qu’elles sont momentanées, et que leur but, en tant qu’elles en auraient un, ne doit pas être éloigné. Beaumarchais a compris toute la valeur de ces témérités, et c’est