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dont l’hôte s’appelait Schœnkopf. Sa femme était de Francfort, et, quoiqu’il logeât peu de monde le reste de l’année, et ne pût coucher personne dans sa petite maison, au temps de la foire il était visité par un grand nombre des nôtres, qui avaient coutume d’y manger, et d’y loger même en cas de nécessité. J’y courus, quand Schlosser me fit annoncer son arrivée. Je me souvenais à peine de l’avoir vu, et je trouvai un homme jeune et bien fait, au visage rond et plein, sans que les traits en fussent émoussés. Son front bombé, encadré de sourcils et de cheveux noirs, annonçait la gravité, la sévérité et peut-être l’obstination. Il était en quelque façon mon contraire, et ce fut justement ce qui affermit notre longue amitié. J’avais la plus grande estime pour ses talents, d’autant plus que j’observais fort bien qu’il m’était très-supérieur par la solidité de sa conduite et de ses ouvrages. L’estime et la confiance que je lui témoignai fortifièrent son attachement, et augmentèrent l’indulgence que réclamait de lui mon caractère vif, mobile, toujours alerte, et tout l’opposé du sien. Il étudiait l’anglais assidûment. Pope était, sinon son modèle, du moins son objet, et, en opposition à l’Essai sur l’homme de cet auteur, il avait écrit un poème pareil de forme et de mesure, qui devait assurer le triomphe de la religion chrétienne sur le déisme du poète anglais. Il tira de son portefeuille, très-bien fourni, et me communiqua des compositions en vers et en prose, écrites en diverses langues. En provoquant chez moi l’imitation, elles me jetèrent de nouveau dans une extrême inquiétude. Mais mon activité vint à mon secours. J’adressai à Schlosser des compositions poétiques en allemand, en français, en anglais et en italien, dont j’empruntais la matière à nos conversations, qui étaient solides et intéressantes au plus haut point.

Schlosser ne voulut pas quitter Leipzig sans avoir vu les hommes qui avaient un nom. Je le conduisis avec plaisir chez ceux que je connaissais ; ceux que je n’avais pas encore visités, j’appris ainsi à les connaître d’une manière très-honorable, parce que Schlosser était reçu avec distinction, comme un homme instruit et déjà marquant, et qu’il savait très-bien faire les frais de la conversation. Je ne dois pas omettre notre visite à Gottsched, parce qu’elle sert à peindre le caractère et les