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jeunes gens vaniteux, petitesses et prétentions de toute sorte, sont par qui ridiculisés plus que raillés, et sa raillerie même n’exprime aucun mépris. Il badine également sur sa propre situation, sur ses infortunes, sa vie et sa mort.

Sa manière de traiter un sujet est peu esthétique. Il est assez varié dans la forme extérieure, mais il se sert beaucoup trop de l’ironie directe, qui consiste à louer ce qui est digne de blâme et à blâmer ce qui est digne de louange, moyen oratoire qu’on ne devrait employer que très-rarement : car, à la longue, il rebute lus hommes intelligents, il égare les faibles et n’amuse, à vrai dire, que la grande classe mitoyenne, qui peut, sans grande dépense d’esprit, se croire plus sage que les autres. Mais, quels que soient le sujet et la forme de ses écrits, on y reconnaît sa droiture, son calme et sa sérénité, qui nous captivent toujours. L’admiration sans bornes de ses contemporains fut une conséquence de ces qualités morales.

Que l’on cherchât et que l’on trouvât des modèles particuliers à ses peintures générales, c’était une chose naturelle. Il s’ensuivit que certaines personnes se plaignirent de lui. Ses réponses infinies que, chez lui, la satire n’est point personnelle, attestent le chagrin que ces plaintes lui avaient fait. Quelques-unes de ses lettres font la gloire de l’homme et de l’écrivain. La relation familière dans laquelle il décrit le siège de Dresde, la perte de sa maison, de ses meubles, de ses écrits et de ses perruques, sans que son calme en soit ébranlé le moins du monde ni sa sérénité troublée, est infiniment estimable, bien que ses contemporains et ses concitoyens ne lui pardonnassent pas cette heureuse humeur. La lettre où il parle du déclin de ses forces, de sa mort prochaine, est extrêmement respectable, et Rabener mérite d’être honoré comme un saint par toutes les âmes sereines, sages et joyeusement résignées à tous les événements de la vie. Je me sépare de lui à regret : j’ajouterai seulement que ses satires ne s’adressent qu’à la classe moyenne. Il fait observer ça et là qu’il connaît bien aussi les grands, mais qu’il ne juge pas à propos d’y loucher. On peut dire qu’il n’a point eu de successeur, qu’il ne s’est trouvé personne qui l’égale ou qui lui ressemble.

Parlons maintenant de la critique, et d’abord des essais de théorie. Ce n’est pas remonter trop haut de dire qu’à cette époque l’idéal s’était réfugié du monde dans la religion ; qu’il se montrait à peine même dans la morale ; personne n’avait l’idée d’un premier principe de l’art. On nous mettait dans les mains la Poésie critique de Gottsched ; elle était utile et assez instructive, car elle donnait une connaissance historique de tous les genres de poésie, tout comme du rhythme et de ses divers mouvements : le génie poétique était supposé. Au reste le poêle devait avoir de l’instruction, même de la science ; il devait avoir du goût et que sais-je encore ? On nous recommandait l’Art poétique d’Horace ; nous admirions avec respect quelques sentences dorées de cet estimable ouvrage ; mais nous ne savions nullement nous en expliquer l’ensemble ni le mettre à profit.

Les Suisses se déclaraient les antagonistes de Gottsched. Ils devaient donc faire autre chose, produire quelque chose de mieux : aussi nous di-