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sions figurées des langues méridionales, et on en faisait l’usage le plus exagéré. On transportait à nos relations de petites villes et de savants la noble dignité des citoyens romains, les égaux des rois, et l’on n’était nulle part à sa place, et chez soi moins que partout ailleurs.

Mais, comme il parut dès cette époque des ouvrages de génie, la liberté et la gaieté allemandes s’éveillèrent aussi. Accompagnées d’une franche gravité, elles finirent par obtenir que l’on écrivit purement et naturellement, sans mélange de mots étrangers, et comme le voulaient le sens commun et la clarté. Cependant ces louables efforts ouvrirent toutes les portes à la platitude nationale ; ils percèrent la digue par laquelle le grand déluge devait nous envahir bientôt. Mais un roide pédantisme tint ferme longtemps encore dans les quatre facultés, et ce fut seulement beaucoup plus tard qu’il se vit délogé de l’une après l’autre. De bons esprits, des enfants de la nature, aux vues indépendantes, avaient donc deux objets sur lesquels ils pouvaient s’exercer, contre lesquels ils pouvaient agir et (la chose n’étant pas de grande conséquence) donner carrière à leur esprit satirique : d’abord une langue défigurée par des expressions et des tournures étrangères, ensuite la nullité des écrits où l’on avait eu soin d’éviter ce défaut : sans que personne songeât qu’en combattant un mal on appelait l’autre à son secours.

Liscow, jeune et hardi, risqua d’abord des attaques personnelles contre un écrivain sot et superficiel, dont la conduite maladroite lui donna bientôt l’occasion de procéder plus vivement. Il agrandit le cercle et dirigea toujours ses railleries contre des personnes et des choses qu’il méprisait et cherchait à rendre méprisables, qu’il poursuivait même avec une haine passionnée. Mais sa carrière fut courte ; il mourut bientôt, après une jeunesse inquiète et déréglée. Bien qu’il ait peu produit, ses compatriotes se sont plu à trouver dans ses ouvrages un talent et un caractère estimables, car les Allemands ont toujours montré une piété singulière pour la mémoire des hommes de talent qui donnaient de belles espérances et dont la mort a été prématurée. Enfin on nous vanta de très-bonne heure et l’on nous recommanda Liscow comme un excellent satirique, supérieur même à Rabener, que tout le monde aimait. Toutefois cela ne nous avançait guère, car nous ne pouvions découvrir autre chose dans ses écrits, sinon qu’il avait trouvé sotte la sottise, ce qui nous semblait tout naturel.

Rabener, qui avait reçu une excellente éducation et qui avait fait de bonnes études classiques, homme d’un naturel gai, sans passion et sans fiel, s’attacha à la satire générale. Sa critique de ce qu’on appelle vices et folies part des vues saines du bon sens paisible, et d’une idée morale, bien arrêtée, de ce que le monde devrait être. La critique des défauts et des vices est sereine et inoffensive, et, pour faire excuser même la faible hardiesse de ses écrits, il pose en principe que ce n’est pas une vaine entreprise de corriger les fous par le ridicule.

Un second Rabener ne se reverra pas aisément. Il se montre habile en affaires, soigneux à remplir ses devoirs, et il gagne ainsi l’estime de ses concitoyens et la confiance de ses supérieurs. À côté de cela, il s’amuse à rire de tout ce qui l’entoure de plus près : savants pédantesques,