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proche, que je ne le jugeais pas supérieur à ce qu’on blâmait. Cela me jeta dans un trouble profond. Je m’étais promis les meilleurs effets d’un cours d’Ernesti sur l’Orateur de Cicéron. J’en retirai sans doute quelque instruction, mais je ne fus pas éclairé sur ce qui m’intéressait le plus. Je demandais une règle du jugement, et je crus m’apercevoir que personne ne la possédait, car personne ne s’accordait avec les autres, même quand ils présentaient des exemples. Où donc nous fallait-il chercher une règle, lorsqu’on savait énumérer tant de défauts chez un écrivain comme Wieland, dont les aimables ouvrages captivaient entièrement nos jeunes esprits ?

Parmi ces distractions diverses, ce morcellement de mon existence et de mes études, je m’étais mis en demi-pension chez le conseiller Loudwig. Il était médecin, botaniste, et, à l’exception de Morus, la société se composait uniquement d’élèves en médecine, qui commençaient ou qui achevaient leurs études. Pendant le dîner, je n’entendais parler que de médecine et d’histoire naturelle, et mon imagination fut entraînée dans un tout autre domaine. J’entendais prononcer avec une grande vénération les noms de Haller, de Linnée, de Buffon, et, bien qu’il s’élevât parfois un débat, au sujet d’erreurs dans lesquelles ils devaient être tombés, on finissait toujours par se mettre d’accord sur leurs mérites, d’une supériorité reconnue. Les sujets étaient intéressants et importants, et captivaient toute mon attention. J’appris à connaître peu à peu une foule de dénominations et une vaste terminologie. Je la recueillais avec d’autant plus d’empressement que j’avais peur d’écrire une rime, lors même qu’elle s’offrait à moi spontanément, ou délire un poëme, dans l’appréhension où j’étais de le trouver beau dans le moment et de me voir peut-être obligé plus tard de le déclarer mauvais comme tant d’autres.

Cette incertitude de jugement et de goût m’inquiétait tous les jours davantage, et je finis par tomber dans le désespoir. J’avais apporté à Leipzig ceux de mes premiers essais que je croyais les meilleurs, soit parce que j’espérais en tirer quelque honneur, soit pour juger plus sûrement de mes progrès : mais je me trouvais dans la fâcheuse situation d’un homme à qui on demande un changement absolu de sentiments, le re-