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struits et développés, sentent néanmoins encore le besoin de savoir et de réfléchir.

Tandis que cette marche me conduisait à étendre mes connaissances plutôt qu’à les bien digérer, ce qui éveillait en moi un malaise toujours croissant, j’éprouvais aussi dans le monde diverses petites contrariétés ; car, lorsqu’on change de séjour et qu’on entre dans des relations nouvelles, il faut toujours payer la bienvenue. La première chose que les femmes critiquèrent chez moi, ce fut l’habillement : et en effet, il faut le dire, j’étais arrivé à l’université dans un équipage un peu singulier. Mon père, qui ne pouvait souffrir qu’une chose restât sans effet, qu’une personne ne sût pas employer son temps, ou ne trouvât aucune occasion de l’employer, était arrivé à ménager le temps et les forces au point que son plus grand plaisir était de tuer deux mouches d’un seul coup. Il n’avait donc chez lui aucun domestique qui ne fût bon à quelque chose à côté de son service. Tout comme, après avoir eu l’habitude de tout écrire de sa propre main, il avait trouvé commode plus tard de faire écrire sous sa dictée notre jeune commensal, il trouva aussi fort avantageux d’avoir pour valets des tailleurs, qui devaient employer leurs loisirs à confectionner leurs livrées et même les habits du père et des enfants, et à faire toute espèce de ravaudages. Mon père avait soin de se procurer lui-même les meilleurs draps et les meilleures étoffes ; il les achetait à la foire de marchands étrangers et en il faisait provision. Je me souviens encore qu’il visitait toujours MM. de Lœvenicht, d’Aix-la-Chapelle, et que, dès mon plus jeune âge, il me fit faire la connaissance de ces messieurs et d’autres grands négociants. Il avait donc pourvu à la qualité de l’étoffe, et les diverses sortes de draps, de serges, les tissus, ainsi que les doublures nécessaires, ne manquaient pas : en sorte que, pour ce qui concerne l’étoffe, nous aurions osé nous montrer, mais la forme gâtait presque tout, car un tailleur domestique pouvait à la rigueur être capable de bien coudre et confectionner un habit coupé par un bon maître, mais ici il fallait qu’il le coupât lui-même, et cela ne réussissait pas toujours au mieux. Ajoutez que mon père montrait beaucoup de soin et de propreté dans tout ce qui regardait son habillement, et le conservait pendant nom-