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du premier ordre. Je lus donc beaucoup en cette langue avec une grande facilité, et j’osais me flatter d’entendre les auteurs, parce que rien ne m’échappait du sens littéral. Je fus même très-choqué quand j’appris que Grotius avait dit orgueilleusement qu’il lisait Térence autrement que les enfants. Heureuse illusion de la jeunesse, ou plutôt de tous les hommes, qui peuvent se croire accomplis à chaque moment de leur existence, et qui ne s’enquièrent ni du vrai ni du faux, ni des hauteurs, ni des profondeurs, mais seulement de ce qui est à leur mesure ! J’avais donc appris ie latin, comme l’allemand, le français, l’anglais, par la pratique seulement, sans règles et sans principes. Ceux qui savent ce qu’était alors l’instruction publique ne trouveront pas étrange que j’eusse enjambé la grammaire tout comme la rhétorique : tout me semblait aller naturellement ; les mots, leurs formations et transformations, se fixaient dans mon oreille et mon esprit, et je me servais du langage avec aisance pour écrire et pour babiller.

La Saint-Michel approchait ; c’était le moment où je devais me rendre à l’université, et je me sentais également animé par la vie et par la science. Je trouvais en moi un éloignement toujours plus manifeste pour nia ville natale. Le départ de Marguerite avait brisé le cœur du jeune arbrisseau ; il lui fallait du temps pour jeter des branches latérales et réparer sa première perte par une croissance nouvelle. Mes promenades dans les rues avaient cessé ; je ne faisais, comme les autres, que les courses nécessaires. J’évitais de retourner dans le quartier de Marguerite et même dans le voisinage ; et, tout comme mes vieux murs, mes vieilles tours, me blessaient peu à peu la vue, la constitution de la ville en vint aussi à me déplaire ; tout ce qui m’avait paru auparavant si vénérable me semblait aller de travers. Comme petit-fils du maire, je n’avais pas manqué d’apercevoir les secrets défauts de cette république, d’autant plus que les enfants éprouvent un étonnement tout particulier, et sont excités à s’enquérir diligemment des choses aussitôt qu’ils commencent à juger suspect ce qu’ils ont jusque-là honoré sans réserve. Je n’avais vu que trop bien le chagrin inutile des honnêtes gens en lutte avec ceux que les partis peuvent gagner ou même corrompre ; toute injustice m’était sou-