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due à l’intérêt et à l’attention que mon père y portait. Informé par mon surveillant que je me-remettais peu à peu, et, particulièrement, que je m’appliquais avec passion à dessiner d’après nature, il en fut très-satisfait, soit parce qu’il aimait beaucoup le dessin et la peinture, soit parce que le compère Seekatz lui avait dit quelquefois que c’était dommage qu’on ne fît pas de moi un peintre. Mais ici les singularités du père et du fils se trouvèrent encore en conflit : il m’était presque impossible de prendre pour mes dessins de bon papier blanc, parfaitement net. Des feuilles vieillies, grisâtres, déjà écrites d’un côté, m’attiraient de préférence, comme si mon humeur indépendante avait craint la pierre de touche d’une base pure. D’ailleurs aucun dessin n’était achevé, et comment aurais-je pu produire un tout, que je voyais bien de mes yeux, mais sans le comprendre, et comment aurais-je pu produire un détail, que je connaissais, à la vérité, mais que je n’avais ni le talent ni la patience de suivre ? Au reste, à cet égard encore, la pédagogie de mon père était admirable. Il demandait avec bonté à voir mes essais, et il encadrait de lignes toute esquisse imparfaite : par là il voulait m’obliger à faire quelque chose de complet et de détaillé ; ses ciseaux coupaient droit les feuilles irrégulières, et il en faisait le commencement d’une collection, dans laquelle il voulait avoir la satisfaction de suivre les progrès de son fils. Il voyait donc sans aucun déplaisir que je fusse entraîné par mon humeur inquiète et sauvage à courir les campagnes ; il me suffisait pour le satisfaire de rapporter un cahier sur lequel sa patience pût s’exercer, et qui fût de nature à confirmer un peu ses espérances.

On ne craignait plus de me voir retomber dans mes premières liaisons ; on me laissa peu à peu une complète liberté. Des occasions, des compagnies s’offrirent à moi pour faire quelques courses dans les montagnes, qui m’avaient présenté, dès mon enfance, leur profil sévère et lointain. Nous visitâmes Hombourg, Kronenbourg ; nous montâmes au Feldberg, d’où l’on embrasse une vaste perspective, qui nous invitait toujours plus au loin. Nous ne manquâmes pas de visiter Kœnigstein ; Wiesbaden, Schwalbach, avec ses environs, nous occupèrent plusieurs jours ; nous arrivâmes au Rhin, que nous avions vu, du