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DEUXIÈME PARTIE.


Ce qu’on désire dans la jeunesse, on l’a dans la vieillesse en abondance.


LIVRE VI.


C’est ainsi qu’on hâtait et qu’on retardait tour à tour ma guérison, et un secret dépit se joignit encore à mes autres sentiments, car je m’aperçus bientôt qu’on me surveillait, qu’on ne me laissait guère parvenir un billet cacheté sans observer les effets qu’il produisait, si je le tenais caché ou si je le posais tout ouvert, et que sais-je encore ? Je soupçonnai donc que Pylade, un des cousins, ou Marguerite elle-même, avait peut-être essayé de m’écrire pour me donner de leurs nouvelles ou m’en demander des miennes. À côté de ma douleur, je sentais donc une véritable colère ; nouveau sujet pour moi de me livrer à mes suppositions et de me perdre dans les combinaisons les plus étranges.

On ne tarda pas à me donner un surveillant particulier. Heureusement c’était un homme que j’aimais et que j’estimais. Il avait été gouverneur dans une famille de notre connaissance, et son ancien élève était allé seul à l’université. Il m’avait visité souvent dans ma triste situation, et l’on finit par trouver tout naturel de lui donner une chambre à côté de la mienne, avec charge de m’occuper, de me calmer, et, je le voyais bien aussi, de me surveiller. Mais, comme j’avais pour lui une sincère estime, que je lui avais fait auparavant bien des confidences, mais non celle de mon amour pour Marguerite, je résolus d’être avec lui tout à fait ouvert et franc, d’autant qu’il m’était insupportable de vivre journellement avec quelqu’un, et d’être avec lui sur le pied de la contrainte et de la défiance. Ainsi