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fait et même en riant, et elle croyait les avoir entendus dire : « C’est fort bien, la chose est sans importance. — Sans doute, m’écriai-je, elle est sans importance pour moi, pour nous : car je ne suis point coupable, et, quand je le serais, on saurait bien me tirer d’affaire. Mais eux, qui leur portera secours ? » Ma sœur tacha de me rassurer en insistant sur ce raisonnement, que, si l’on voulait sauver les personnes en crédit, on était forcé de jeter aussi un voile sur les fautes des petites gens. Tous ces discours étaient inutiles. Elle fut à peine sortie, que je m’abandonnai de nouveau à ma douleur, évoquant tour à tour les images de mon amour, de ma passion, et celles des maux actuels et possibles. Je me créais chimères sur chimères, je ne voyais que malheurs sur malheurs, et surtout je ne manquais pas de me figurer Marguerite et moi dans la situation la plus déplorable.

Notre ami m’avait ordonné de garder la chambre, et de ne parler de cette affaire à personne en dehors de ma famille. Je ne demandais pas mieux, car je préférais être seul. Ma mère et ma sœur venaient me voir de temps en temps, et ne manquaient pas de m’assister des meilleures et des plus fortes consolations ; elles m’offrirent même, dès le lendemain, au nom de mon père mieux informé, une complète amnistie, que je reçus avec reconnaissance ; mais je refusai obstinément la proposition de sortir avec lui et d’aller voir les insignes de l’Empire, que l’on montrait aux curieux, et je déclarai que je ne voulais entendre parler ni du monde ni de l’Empire romain avant que j’eusse appris comment cette fâcheuse affaire, qui ne devait plus avoir de suites pour moi, s’était terminée pour mes pauvres amis. Ma mère et ma sœur n’en savaient rien elles-mêmes, et elles me laissèrent seul. On fit encore, les jours suivants, quelques tentatives pour m’engager à sortir et à prendre part aux fêtes publiques, mais tout fut inutile. Ni le grand jour de gala, ni les cérémonies auxquelles donnèrent lieu tant de promotions, ni le repas public de l’empereur et du roi, ne purent m’ébranler. L’électeur palatin vint faire sa cour aux deux Majestés ; celles-ci rendirent visite aux électeurs ; on se réunit pour la dernière séance électorale, afin de régler les points laissés en arrière, et de renouveler le conseil électoral, sans que rien pût