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j’éprouvai un sentiment toujours plus douloureux, tellement que je finis par fondre en larmes et m’abandonner aux plus violents transports. Notre ami, qui espérait que le véritable secret était en train de se révéler (car il prenait ma douleur pour un indice que j’étais sur le point d’avouer à contre-cœur une chose énorme, et il tenait infiniment à faire cette découverte), cherchait de son mieux à me calmer. Il n’y réussit qu’en partie ; assez néanmoins pour que je pusse achever péniblement mon histoire.

Quoique satisfait de l’innocence de ce qui s’était passé, il avait encore quelques doutes, et il m’adressa de nouvelles questions, qui réveillèrent mes transports et me plongèrent dans la plus violente douleur. Je finis par déclarer que je n’avais plus rien à dire, et savais bien que je n’avais rien à craindre, car j’étais innocent, de bonne famille et bien recommandé ; mais les autres pouvaient être innocents comme moi, sans qu’on voulût les reconnaître pour tels et leur être favorable. Je déclarai que, si l’on ne voulait pas les épargner ainsi que moi, excuser leurs folies et pardonner leurs fautes, s’ils éprouvaient la moindre rigueur et la moindre injustice, je me tuerais, et que personne ne pourrait m’en empêcher. Notre ami s’efforça encore de me rassurer à cet égard, mais je ne me fiais pas à lui, et, lorsqu’enfin il me quitta, j’étais dans l’état le plus affreux. Je me faisais des reproches d’avoir conté la chose et mis au jour toutes nos liaisons. Je prévoyais qu’on interpréterait tout autrement ces enfantillages, ces inclinations et ces intimités de jeunes gens ; que peut-être j’envelopperais dans cette affaire le bon Pylade et le rendrais fort malheureux ! Toutes ces idées se succédaient, se pressaient vivement dans mon esprit, animaient, aiguillonnaient ma douleur, en sorte que j’étais comme désespéré ; je me jetai par terre tout de mon long et je baignais le plancher de mes larmes.

Je ne sais combien de temps j’étais resté dans cette situation, quand ma sœur entra ; mes transports l’effrayèrent, et elle fit tout ce qu’elle put pour me consoler. Elle m’apprit que quelques magistrats avaient attendu en bas le retour de notre ami, et qu’après être restés quelque temps enfermés, les deux messieurs s’étaient retirés en causant ensemble d’un air très-satis-