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qu’elle m’accordait cette faveur, et ce fut la dernière ; car, hélas ! je ne devais plus la revoir.

Le lendemain, j’étais encore au lit, quand ma mère, inquiète et troublée, entre dans ma chambre. Lorsqu’elle avait quelque souci, il était facile de s’en apercevoir. « Lève-toi, me dit-elle, et prépare-toi à quelque chose de désagréable. Il nous est revenu que tu fréquentes une très-mauvaise société, et que tu t’es mêlé dans les affaires les plus coupables et les plus dangereuses. Ton père ne se possède plus, et tout ce que nous avons obtenu de lui, c’est de laisser l’affaire s’instruire par un tiers. Reste dans ta chambre, et attends ce qui se prépare. Le conseiller Schneider viendra te voir au nom de ton père et de l’autorité, car l’affaire est déjà pendante et peut prendre une très-mauvaise tournure. » Je vis bien qu’on jugeait la chose beaucoup plus grave qu’elle n’était, mais j’étais assez vivement alarmé, à la seule pensée que ma véritable liaison était découverte. Mon vieil ami, l’admirateur de la Messiade, arriva enfin. Il avait les larmes aux yeux. Il me prit par le bras et me dit : « Je suis bien affligé de venir auprès de vous dans une pareille circonstance. Je n’aurais pas imaginé que vous fussiez capable de vous égarer à ce point. Mais que ne font pas la mauvaise compagnie et le mauvais exemple ! Et c’est ainsi qu’un jeune homme sans expérience peut se voir pas à pas conduit jusqu’au crime. — Ma conscience ne me reproche aucun crime, répliquai-je ; elle ne me reproche pas davantage d’avoir fréquenté de mauvaises compagnies. — Il ne s’agit pas actuellement de votre défense, dit-il en m’interrompant, mais d’une enquête et, de votre part, d’un aveu sincère. — Que désirez-vous savoir ? » lui dis-je. Il s’assit, tira de sa poche une feuille, et se mit à m’interroger. « N’avez-vous pas recommandé à votre grand-père le nommé *** comme postulant une place de *** ? — Oui, répondis-je. — Où avez-vous fait sa connaissance ? — A la promenade. — Dans quelle société ? » J’hésitai, parce que je ne voulais par trahir mes amis. « Le silence ne vous servira de rien, poursuivit-il ; tout est déjà suffisamment connu. — Qu’est-ce donc qui est connu ? — Que cet homme vous a été présenté par d’autres gens de même sorte, et, à savoir, par ***. » Il nomma trois personnes que je n’avais jamais ni vues ni connues, ce que je dé-