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cette fois, le bœuf rôti amena comme auparavant un combat plus sérieux. On ne pouvait se le disputer qu’en masse. Deux corporations, celle des bouchers et celle des encaveurs, s’étaient postées, selon la vieille coutume, de telle sorte que l’énorme rôti devait échoir à l’une d’elles. Les bouchers croyaient avoir les meilleurs droits à un bœuf qu’ils avaient fourni entier à la cuisine ; les encaveurs, en revanche, y prétendaient, parce que la cuisine était bâtie dans le voisinage du siège de leur corporation, et parce qu’ils avaient été vainqueurs la dernière fois ; car on pouvait voir à la lucarne grillée de leur maison commune les cornes de ce bœuf conquis, se dressant comme trophée. Ces deux corporations nombreuses avaient l’une et l’autre des membres robustes et vigoureux, mais, laquelle remporta cette fois la victoire, c’est ce dont je ne me souviens plus.

Au reste, comme une fête de ce genre doit finir par quelque chose de périlleux et d’effrayant, ce fut, en vérité, un moment effroyable que celui où la cuisine de planches fut elle-même livrée au pillage. A l’instant le toit fourmilla de gens, sans qu’on put savoir comment ils y étaient montés ; les planches furent arrachées et jetées en bas, en sorte qu’on pouvait croire, et surtout de loin, que chacune avait assommé deux ou trois assiégeants. En un clin d’œil la baraque fut découverte, et quelques hommes restaient suspendus aux chevrons et aux poutres, pour les arracher aussi des mortaises. Plusieurs même se brandillaient encore en haut, quand les poteaux étaient déjà sciés par le bas, que la charpente vacillait et menaçait d’une chute soudaine. Les personnes délicates détournaient les yeux, et chacun s’attendait à un grand malheur ; mais on n’entendit pas même parler d’une blessure, et, la scène, tout impétueuse et violente qu’elle était, se passa heureusement.

Chacun savait que l’empereur et le roi allaient sortir du cabinet où ils s’étaient retirés en quittant le balcon, et qu’ils dîneraient dans la grande salle du Rœmer. On avait pu admirer, la veille, les préparatifs, et je désirais vivement jeter, du moins s’il était possible, un coup d’œil dans la salle. Je retournai donc par les chemins accoutumés au grand escalier qui fait face à la porte de la salle. Là je vis, non sans étonnement, les hauts personnages se reconnaître ce jour-là serviteurs du chef su-