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pas de fréquenter les universités, mais il devait à son application une très-belle écriture, la connaissance du calcul et des langues modernes ; et, dans l’espérance d’une heureuse union, il voulait faire tout ce qui serait en son pouvoir. Les cousins l’en félicitèrent, mais ils ne l’approuvaient pas d’avoir fait à une jeune fille une promesse prématurée, et ils ajoutèrent qu’ils le reconnaissaient comme un brave et bon jeune homme, mais qu’ils ne le jugeaient ni assez actif ni assez entreprenant pour rien accomplir d’extraordinaire. Cela l’ayant conduit a exposer en détail, pour sa justification, ce qu’il se sentait la force de faire et comment il se proposait de l’entreprendre, les autres s’animèrent, et chacun se mit à décrire ses moyens actuels, ses occupations, ses affaires, le chemin qu’il avait déjà parcouru, et la carrière qui s’ouvrait devant lui. Mon tour vint à la fin ; il me fallait exposer aussi ma vie et mes projets, et, comme j’y songeais, Pylade s’écria : « La seule réserve que je fasse, pour qu’il ne nous laisse pas trop en arrière, c’est qu’il ne fasse pas entrer en compte les avantages extérieurs de sa position. Que plutôt il imagine et nous dise comment il s’y prendrait, si, dans ce moment, il devait, comme nous, se reposer entièrement sur lui-même. »

Marguerite, qui, jusqu’alors, n’avait pas cessé de filer, se leva et vint s’asseoir, comme d’habitude, au bout de la table. Nous avions déjà vidé quelques bouteilles, et je commençai de fort bonne humeur à conter en ces termes mon histoire imaginaire : « Avant tout je me recommande à vous pour me procurer des pratiques, ainsi que vous avez commencé. Si vous me faites toucher au fur et à mesure le prix de tous les vers de circonstance, et si nous ne mangeons pas tout en joyeux repas, j’arriverai déjà à quelque chose. Ensuite ne trouvez pas mauvais que je mette aussi la main à votre métier. » Là-dessus, je leur exposai ce que j’avais observé de leurs occupations, et celles auxquelles je me sentirais, le cas échéant, capable de me livrer. Chacun avait évalué son industrie en argent, et je les priai de m’aider à faire aussi mon compte. Marguerite avait tout écouté jusque-là avec beaucoup d’attention, dans l’attitude qui lui allait si bien, soit qu’elle écoutât ou qu’elle parlât : elle prenait, de ses deux mains, ses bras croisés, qu’elle posait