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précieux que je puisse désirer ? » Elle avait tiré devant elle le brouillon de mon épître poétique, et le lut à demi-voix, avec beaucoup de grâce et de charme. « C’est très-joli, dit-elle en s’arrêtant à une sorte de pointe naïve. Seulement, c’est dommage que cela ne soit pas destiné à un usage véritable. — Ci ; serait bien beau, sans doute ! m’écriai-je. Qu’il serait heureux, celui qui recevrait d’une jeune fille qu’il aime passionnément une pareille assurance de son amour ! — C’est beaucoup demander, dit-elle, mais bien des choses sont possibles. — Par exemple, poursuivis-je, si quelqu’un qui vous connaît, vous estime, vous respecte et vous adore, vous présentait cette feuille et vous priait avec instance, avec amour et tendresse… que feriez-vous ? » Je poussai plus près d’elle la feuille, qu’elle avait déjà repoussée vers moi. Elle sourit, réfléchit un moment, prit la plume et signa. J’étais ravi, je me levai soudain et je voulus l’embrasser. « Point de baiser ! dit-elle, c’est trop commun, mais de l’amour, si c’est possible. » J’avais repris la feuille et l’avais serrée dans ma poche. « Personne ne l’aura, lui dis-je, la chose est résolue. Vous m’avez sauvé ! — Eh bien, achevez votre salut, s’écria-t-elle, et partez vite avant que les autres ne viennent et ne vous mettent dans la peine et l’embarras. » Je ne pouvais me séparer d’elle, mais elle m’en pria d’une manière tout amicale, en prenant de ses deux mains ma main droite, qu’elle pressait tendrement. Les larmes n’étaient pas loin ; je crus voir ses yeux humides. J’appuyai mon visage sur ses mains, et je partis. Je ne m’étais trouvé de ma vie dans un trouble pareil.

Les premières inclinations d’un cœur innocent prennent une direction tout idéale ; la nature semble vouloir qu’un sexe voie dans l’autre l’image sensible du bon et du beau. Et en effet la vue de cette jeune fille et mon amour pour elle m’avaient révélé un monde nouveau de beauté et de perfection. Je relus encore ma lettre poétique, je contemplais la signature, je la baisais, la pressais sur mon cœur ; je faisais mes délices de cet aimable aveu. Mais, plus augmentait mon ravissement, plus je souffrais de ne pouvoir me rendre sur-le-champ auprès d’elle, la revoir, lui parler ; car je craignais les reproches des cousins et leur importunité. Je ne parvins pas à rencontrer le bon Pylade, qui