Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand le jeune homme eut articulé les changements désirés, et m’eut procuré une écritoire, il sortit un moment pour une affaire. Je restai assis sur le banc fixé au mur derrière la grande table, et j’essayai sur la grande ardoise qui couvrait presque toute la table les changements à faire, me servant d’une touche qui se trouvait toujours sur la fenêtre, parce qu’on calculait souvent sur cette table de pierre, qu’on y notait diverses choses, et que les allants et les venants s’y transmettaient même des avis.

J’avais passé quelque temps à écrire et à effacer, quand je m’écriai avec impatience : « Ça ne va pas ! — Tant mieux ! dit l’aimable jeune fille, d’un ton posé ; je voudrais que cela n’allât pas du tout. Vous ne devriez pas vous mêler de pareilles affaires. » Elle quitta son rouet, et, venant à moi devant la table, elle me fit, avec beaucoup de raison et de douceur, une remontrance. « La chose a l’air d’une innocente plaisanterie, dit-elle : c’est une plaisanterie, mais elle n’est pas innocente. J’ai déjà vu ces jeunes gens tomber dans de grands embarras par ces étourderies. — Mais que dois-je faire ? lui dis-je, la lettre est écrite, et ils comptent que je vais la corriger. — Croyez-moi, ne la corrigez pas, reprenez-la plutôt, allez-vous-en, et tâchez d’arranger l’affaire par votre ami. Je dirai aussi un petit mot. Car, voyez-vous, bien que je sois une pauvre fille et dépendante de ces parents, qui ne font point de mal sans doute, mais qui, pour le plaisir ou pour le gain, se permettent bien des choses hasardeuses, j’ai résisté et je n’ai pas copié la première lettre, comme on me le demandait. Ils l’ont copiée d’une écriture contrefaite, et, s’ils n’ont pas d’autres moyens, ils en feront autant de celle-ci. Et vous, jeune homme de bonne famille, riche, indépendant, pourquoi vous laissez-vous employer comme instrument dans une affaire dont il ne peut certainement résulter rien de bon pour vous, et qui vous attirera peut-être bien des désagréments ? »

J’étais heureux de l’entendre parler de suite, car d’ordinaire elle ne jetait dans la conversation que peu de mots. Mon amour s’accrut au delà de toute idée ; je n’étais pas maître de moi, et je répondis : « Je ne suis pas aussi indépendant que vous croyez, et que me sert d’être riche, puisque je n’ai pas le bien le plus