Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous ferons des vers pour nous divertir, et les autres en penseront et en diront ce qu’il leur plaira. — Voici justement l’incrédule. — Ne lui en parlons pas, c’est inutile : on ne convertit pas les gens. — Point du tout. Je veux qu’il revienne de son idée. »

Après que nous eûmes parlé un moment de choses indifférentes, mon trop zélé camarade ne put se contenir, et dit avec quelque vivacité : « Voici cet ami qui a fait les jolis vers dont vous ne voulez pas qu’il soit l’auteur. — Assurément, il ne le prendra pas en mauvaise part, répliqua l’autre, car c’est lui faire honneur, de croire qu’il faut, pour faire de pareils vers, beaucoup plus de science qu’il n’en peut avoir à son âge. » Je lis une réponse insignifiante, mais mon ami continua. « Il ne sera pas bien difficile de vous convaincre. Donnez-lui un sujet quelconque, et il vous fera des vers sur-le-champ. » Je consentis, nous nous accordâmes, et le nouveau venu me demanda si je me croyais capable de composer en vers une jolie lettre d’amour qu’une timide jeune fille écrirait à un jeune homme pour lui découvrir son inclination. « Rien de plus facile, répondis-je, si nous avions de quoi écrire. » Il tira son portefeuille, où se trouvaient beaucoup de pages blanches, et je me mis à écrire, assis sur un banc. Pendant ce temps, ils se promenèrent de long en large, sans me perdre de vue. J’entrai aussitôt dans la situation, et je me figurai combien je serais charmé qu’une belle enfant fût réellement éprise de moi, et voulût me le découvrir en prose ou en vers. Je commençai donc tout uniment ma déclaration et la composai (en vers qui tenaient du familier et du madrigal) avec toute la naïveté possible et en peu de temps ; aussi, quand je lus ce petit poëme aux deux jeunes gens, le douleur fut émerveillé et mon ami enchanté. Je pouvais d’autant moins refuser au premier la pièce de vers, qu’elle était écrite dans son portefeuille, et puis je voyais volontiers dans ses mains la preuve de ce que je savais faire. Il s’éloigna, avec mille assurances de son admiration et de son amitié, ne souhaitant rien plus que de nous rencontrer souvent, et nous convînmes de faire bientôt ensemble une partie de campagne.

Notre partie se réalisa ; plusieurs autres jeunes gens de la même catégorie se joignirent à nous. Ils appartenaient à la classe