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gique. Il ferma vivement son œil aveugle, selon sa coutume en pareil cas, me lança de l’autre un regard perçant, et dit d’une voix nasillarde : « Même en Dieu je découvre des défauts. »

Mon mentor misanthrope était aussi mathématicien, mais, praticien par nature, il se tourna vers la mécanique, sans travailler pourtant lui-même. Il fit fabriquer sous sa direction une pendule remarquable, du moins pour ce temps-là, qui, outre les heures et les quantièmes, indiquait aussi les mouvements du soleil et de la lune. Il la remontait lui-même chaque dimanche, à dix heures du matin, ce qu’il pouvait faire avec d’autant plus d’exactitude qu’il n’allait jamais à l’église. Je n’ai jamais vu chez lui de société ou de convives. Je me souviens à peine de l’avoir vu deux fois en dix ans habillé et sortant de chez lui.

Mes divers entretiens avec ces hommes ne furent pas sans importance, et chacun d’eux agissait sur moi à sa manière. J’avais pour chacun autant et souvent plus d’attentions que leurs propres enfants, et chacun d’eux cherchait toujours davantage en moi son plaisir, comme en un fils chéri, en tâchant de me former à sa ressemblance morale. Olenschlager voulait faire de moi un homme de cour, Reineck, un diplomate ; tous deux, le dernier surtout, cherchaient à me dégoûter de la poésie et du métier d’auteur ; Husgen voulait que je fusse un Timon de son espèce, mais, avec cela, un habile jurisconsulte : métier nécessaire, disait-il, pour défendre en bonne forme sa personne et son bien contre la canaille humaine, pour assister un opprimé, et, dans l’occasion, donner un coup de patte à un fripon, ce qui n’était pourtant, ajoutait-il, ni facile ni prudent.

Si j’aimais la société de ces hommes, pour mettre à profit leurs conseils, leurs directions, de plus jeunes, qui me devançaient seulement de peu d’années, excitaient dès lors mon émulation. Je nommerai avant tous les autres les frères Schloseer et Griesbach. Mais, comme je formai avec eux une liaison plus intime, qui dura de nombreuses années sans interruption, je me bornerai à dire pour le moment que l’on nous vantait alors leurs progrès remarquables dans les langues et les autres études qui ouvrent la carrière universitaire, qu’on nous les proposait pour modèles, et que tout le monde s’attendait à les voir