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vase. Je lui apportai encore et il reproduisit plusieurs innocentes créatures, des papillons, des scarabées, et à la fin il en résulta un tableau des plus estimables pour l’imitation et le travail.

Je fus donc bien surpris d’entendre un jour le bon Junker me confesser avec détail, quand l’ouvrage fut près d’être livré, que cette peinture ne lui plaisait plus ; qu’elle était bien réussie dans les détails, mais qu’elle péchait par la composition de l’ensemble, parce qu’elle s’était faite peu à peu, et qu’il avait eu le tort, en commençant, de ne pas se tracer, du moins pour la lumière et les ombres comme pour les couleurs, un plan général d’après lequel on aurait pu arranger les diverses fleurs. Il examina à fond avec moi le tableau, auquel il avait travaillé sous mes yeux pendant six mois et qui me plaisait en détail, et, à mon vif chagrin, il sut parfaitement me convaincre. A ses yeux, la souris était aussi une faute. « Car, disait-il, ces animaux causent à beaucoup de gens une certaine horreur, et l’on ne devrait pas les produire quand l’on veut éveiller un sentiment agréable. » Alors, comme il arrive à celui qui se voit guéri d’un préjugé, et qui se croit bien plus habile qu’il n’était, j’eus un vrai mépris pour cet ouvrage, et j’applaudis à l’artiste, quand il fit préparer une autre planche de même grandeur, sur laquelle, suivant son goût, il peignit un vase d’une plus belle forme et un bouquet arrangé avec plus d’art, et sut choisir aussi bien que disposer avec grâce et avec agrément les petits accessoires vivants. Il peignit aussi ce tableau avec le plus grand soin, mais seulement d’après le premier ou en consultant sa mémoire, qui, vu sa pratique longue et assidue, le secondait fort bien. Les deux tableaux étaient achevés, et nous fûmes décidément satisfaits du dernier, qui était réellement supérieur et d’un plus grand effet. Mon père eut la surprise de deux tableaux au lieu d’un, et le choix lui fut laissé. Il approuva notre avis et nos raisons, et particulièrement la bonne volonté et l’activité de Junker ; mais, après avoir considéré quelques jours les deux tableaux, il se décida pour le premier, sans s’expliquer autrement sur ce choix. L’artiste, fâché, reprit le tableau qu’il aimait, et ne put s’empêcher de me dire à part, que la bonne table de chêne sur laquelle était peint le