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beau-père, que l’on gagne pour soi, ce sont des peuples, avec toutes leurs possessions, que l’on sait acheter pour un roi. Ce récit naturel est infiniment agréable ; seulement il semble trop court, et l’on se sent appelé à le développer en détail.

Ces développements bibliques de caractères et d’événements donnés en simples esquisses n’étaient plus pour les Allemands une chose étrangère. Les personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament avaient pris, grâce à Klopstock, un air tendre et sentimental, qui plaisait extrêmement au jeune garçon, comme à beaucoup de ses contemporains. Des travaux de Bodmer, dans ce genre, il n’était rien ou presque rien parvenu jusqu’à lui ; mais Daniel dans la fosse aux lions, par Moser, fit une grande impression sur son jeune cœur. Un homme d’affaires, un homme de cour, aux intentions loyales, parvient, à travers mille tourments, à de grands honneurs, et sa piété, par laquelle on menaçait de le perdre, devient et demeure son arme et son bouclier. Dès longtemps l’histoire de Joseph m’avait paru un beau sujet à traiter ; mais je ne savais à quelle forme m’arrêter, aucun genre de versification convenable à un pareil travail ne m’étant familier ; mais je trouvai très-commode de le traiter en prose, et je me mis à l’œuvre de toutes mes forces. Je cherchai à distinguer et à développer les caractères, et à faire de cette vieille et simple histoire, en intercalant des incidents et des épisodes, un ouvrage neuf et original. Je ne remarquais pas, ce qu’à vrai dire la jeunesse ne peut remarquer, que, pour cela, un fonds est nécessaire, et que l’expérience peut seule nous le donner. Bref, je me représentai tous les événements jusque dans le plus petit détail, et je me les contai à la file avec la dernière exactitude.

Mon travail fut beaucoup facilité par une circonstance qui menaçait de rendre très-volumineux cet ouvrage et, en général, mes productions littéraires. Un jeune homme de beaucoup de talent, mais que l’application et la vanité avaient rendu imbécile, demeurait chez mon père en qualité de pupille ; il vivait tranquille avec nous, et il était fort silencieux et concentré, mais heureux et obligeant, si on le laissait à ses habitudes. Il avait écrit avec grand soin ses cahiers d’université, et s’était fait une écriture rapide et lisible. Écrire était son occupation