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Cependant mon ardeur enfantine à fouiller la Bible dans tous les sens lui parut sans doute assez sérieuse et digne de quelque secours ; aussi m’adressa-t-il bientôt à un grand ouvrage anglais qui se trouvait sous ma main dans sa bibliothèque, et dans lequel était entreprise, d’une manière habile et sage, l’explication des passages épineux et difficiles de la Bible. La traduction, grâce aux travaux considérables de théologiens allemands, était préférable à l’original ; les diverses opinions étaient rapportées, et l’on finissait par chercher une sorte d’accommodement, qui conciliait, en quelque mesure, l’autorité du livre, la base de la religion et la raison. Chaque fois que, vers la fin de la leçon, j’en venais à mes questions, à mes doutes accoutumés, il m’indiquait le répertoire. Je prenais le volume ; il me laissait lire, feuilletait son Lucien, et, quand je faisais mes réflexions sur le livre, son rire ordinaire était la seule réponse qu’il fît à mes subtiles remarques. Dans les longs jours d’été, il me laissait dans son cabinet aussi longtemps que je pouvais lire, et quelquefois seul. Enfin, un peu plus tard, il me permit d’emporter l’ouvrage chez moi volume à volume.


À quelque objet que l’homme s’applique, et quoi qu’il entreprenne, il reviendra toujours à la voie que la nature lui a tracée. C’est aussi ce qui m’arriva dans cette occasion. Mon étude de la langue et du contenu des Saintes Écritures aboutit en définitive à développer dans mon imagination une idée plus vive de ce beau pays, tant célébré, de son voisinage, comme des peuples et des événements qui ont illustré ce coin de terre pendant une longue suite de siècles. Cet étroit espace devait voir l’origine et le développement du genre humain ; de là devaient nous arriver les premières, les uniques relations de l’histoire primitive, et cette contrée devait en même temps te présenter à notre imagination aussi simple et saisissable que variée, et faite pour les pèlerinages et les établissements les plus merveilleux. Là, entre quatre fleuves nommés, un petit espace délicieux avait été séparé pour l’homme, à sa naissance, de toute la terre habitable. C’est là qu’il devait développer ses premières facultés, là, se voir atteint par la destinée réservée à toute sa postérité, et perdre son repos en aspirant à la connaissance. Le paradis est perdu, les hommes se multiplient et se pervertissent ; les Elohim, qui ne sont pas encore accoutumés à ses désobéissances, s’impatientent et l’anéantissent. Un petit nombre seulement est sauvé du déluge universel, et à peine ces eaux terribles sont-elles écoulées, que le sol paternel bien connu reparaît aux yeux de l’homme reconnaissant. Des quatre fleuves, deux coulent encore dans leur lit, l’Euphrate et le Tigre. Le nom du premier subsiste ; l’autre semble désigné par son cours. On ne pouvait, après un pareil boulever-