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d’expédier le comte après elles. Car, si grande que fût la conformité de leurs goûts, et quoique mon père fût charmé de voir observée d’une manière si profitable par un homme plus riche que lui sa maxime d’encourager les artistes vivants ; si flatté qu’il pût être que sa collection eût donné lieu, en faveur d’honnêtes artistes, dans un temps calamiteux, à des commandes considérables, il sentait néanmoins un si grand éloignement pour l’étranger qui avait envahi sa maison, qu’il ne pouvait rien approuver dans sa conduite. On devait occuper les artistes, mais non les rabaisser à peindre des tapisseries ; on devait être satisfait de ce que chacun avait produit, selon son idée et son talent, quand même on ne goûtait pas l’œuvre de tout point, et ne pas marchander et critiquer toujours ; en un mot, le comte fit vainement des avances polies, il ne put s’établir entre eux aucune liaison. Mon père ne visitait l’atelier que lorsque le comte était à table, et je me souviens qu’une seule fois, Seekatz s’étant surpassé, et le désir de voir son ouvrage ayant amené toute la maison, mon père et le comte s’approchèrent de ces peintures, et témoignèrent une satisfaction commune, qu’ils ne pouvaient trouver l’un chez l’autre.

A peine la maison fut-elle débarrassée de ces caisses, que la tentative, déjà essayée, puis interrompue, d’éloigner le comte fut reprise de nouveau. On chercha à se concilier la justice par des représentations, l’équité par des prières, la bonne volonté par des influences, et l’on fit si bien, qu’enfin la commission des logements décida que le comte changerait de quartier, et que notre maison, en considération de la charge qu’elle avait supportée jour et nuit pendant plusieurs années, serait à l’avenir exempte de logements. Mais, pour avoir un prétexte, on exigea que le premier étage qu’avait occupé le lieutenant du roi, fût remis à loyer, afin qu’il parût impossible d’y loger encore des militaires. Le comte qui, une fois séparé de ses tableaux chéris, n’avait plus rien qui l’intéressât dans la maison, et qui d’ailleurs espérait être bientôt rappelé et remplacé, consentit sans difficulté à occuper un autre bon logement, et nous nous séparâmes en paix et de bonne grâce. Bientôt après, il quitta la ville, et il fut élevé par degrés à diverses charges, mais non pas, à ce que nous apprîmes, de manière à le satisfaire. Il eut