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à Lucinde, non sans se moquer un peu. des inclinations casanières.

Si Lucidor, sur une impression générale, et après avoir observé à quelque distance la noble jeune fille, s’était déjà senti pour elle un attachement si tendre, il dut, en la voyant de près, découvrir deux fois et trois fois mieux encore ce qui l’avait attiré au premier coup d’œil.

Le bon vieil ami de la maison prit la place du père absent. Lui aussi, il avait vécu, il avait aimé, et, après maintes meurtrissures, il avait enfin retrouvé, auprès de l’ami de sa jeunesse, le bien-être et le rafraîchissement. 11 animait la conversation, et s’étendit particulièrement sur les erreurs dans le choix d’un époux ; il cita de remarquables exemples de déclarations opportunes ou tardives. Lucinde parut dans tout son éclat ; elle avoua que, dans la vie, et, par conséquent, dans les mariages aussi, le hasard, sous toutes ses formes, pouvait produire d’excellents résultats ; mais qu’il était plus beau, plus honorable, de pouvoir se dire qu’on devait son bonheur à soimême, à la secrète et paisible voix de son cœur, à un noble dessein, suivi d’une prompte’ résolutibn. Lucidor avait les larmes aux yeux et applaudissait à ces paroles. Bientôt les dames se retirèrent, et le vieillard, qui faisait l’office de président, put raconter à son aise des histoires d’échanges, et la conversation se répandit en exemples divertissants, qui touchaient de si près notre héros, qu’il n’y avait qu’un jeune homme aussi bien élevé qui pût s’empêcher d’éclater ; mais il s’épancha lorsqu’il fut seul.

« Je me suis contenu ! s’écria-t-il. Je n’affligerai pas mon bon père par cette complication ! Je me suis contenu ; car je vois dans ce digne ami de la maison le représentant des deux pères. Je veux m’adrcsser à lui : je lui dirai tout. Il s’interposera sans doute, et peu s’en faut qu’il n’ait déjà exprimé ce que je désire. Pourrait-il blâmer dans un cas particulier ce qu’il approuve en général ? Je le verrai demain matin : il faut que je décharge mon cœur. »

A déjeuner, le vieillard ne parut point : il avait, dit-on, trop parlé la veille ; il avait tablé trop longtemps et bu un peu plus que d’habitude. On rapporta beaucoup de choses à sa louange,