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se représenter sans entourage, se produit seul et à part, et se pose devant nous comme devant une glace ; nous devons lui consacrer une attention décidée ; nous devons nous occuper de lui d’une manière exclusive, comme il s’occupe de lui-même avec complaisance devant le miroir. C’est un général, qui représente maintenant toute l’armée, et derrière lequel reculent dans l’ombre empereurs et rois, pour lesquels il combat. C’est un habile courtisan, qui se montre à nous, tout comme s’il nous faisait la cour ; nous ne pensons point au grand monde pour lequel, à proprement parler, il s’est façonné si agréablement. Notre observateur fut ensuite surpris de la ressemblance qu’il trouvait entre plusieurs personnages morts depuis longtemps et des hommes vivants qu’il connaissait, et qu’il avait vus de ses yeux ; de la ressemblance qu’il leur trouvait avec lui-même. Et pourquoi des Ménechmes jumeaux ne naîtraient-ils que d’une seule mère ? La grande mère des dieux et des hommes ne pourrait-elle produire de son sein fécond, en même temps ou par intervalles, des figures pareilles ? Enfin notre contemplateur sentimental ne put • se dissimuler que, parmi les images qui passaient sous ses yeux, les unes attiraient à elles, les autres inspiraient l’antipathie.

Le maître de la maison le surprit au milieu de ces méditations ; Wilhelm s’entretint librement avec lui sur ces objets, et par là il parut gagner toujours plus ses bonnes grâces : car le vieillard le conduisit amicalement dans les pièces réservées, devant les portraits les plus précieux des hommes illustres du xvie siècle, qui se montraient là tout entiers, dans leur vie libreN et indépendante, sans se mirer dans une glace ou dans le spectateur, laissés à eux seuls et se suffisant à eux-mêmes, agissant par leur présence et non par dessein ou par volonté.

Le maître de la maison, charmé que son hôte sût apprécier* de si riches annales du passé, lui fit voir des autographes de plusieurs personnages, dont ils avaient parlé dans la galerie, et même enfin diveres choses, dont on était sûr que l’ancien possesseur s’était servi et qu’il les avait touchées de ses mains.

« C’est là ma poésie, dit le vieillard en souriant : mon imagination veut se fixer sur quelque objet. Je puis à peine croire qu’une chose qui n’est plus là ait jamais existé. Je cherche à me procurer les plus rigoureux témoignages sur ces reliques du