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quelque étonnement ce qui se passait, lui donnèrent les explications suivantes :

« Vous voyez encore ici l’effet des singularifés de notre bon oncle. Il soutient qu’aucune invention du siècle n’est plus admirable que les repas à la carte, que l’on peut prendre dan* les hôtelleries, à de petites tables particulières. Aussitôt qu’il en eut connaissance, il voulut les introduire dans sa famille pour lui et pour d’autres. Quand il est de bonne humeur, il se plaît à décrire vivement les horreurs d’un repas de famille, où chacun, préoccupé d’idées étrangères, prend sa place, écoute avec ennui, parle avec distraction, garde un froid silence, et, si, par malheur, il arrive des petits enfants, provoque par sa pédagogie improvisée la plus importune mésintelligence. « Nous « avons, dit-il, tant de maux à souffrir !… J’ai su du moins me « délivrer de celui-là. » Il paraît rarement à notre table, et n’occupe qu’un moment la place qu’on lui réserve. Il se fait suivre partout de sa cuisine portative ; d’ordinaire il mange seul, et laisse aux autres le soin de se pourvoir ; mais, lorsqu’il lui arrive d’offrir un déjeuner, un dessert ou une collation, ses gens y sont conviés de tous côtés et en prennent leur part, comme vous avez vu. Cela lui fait plaisir : mais il ne veut pas que l’on vienne sans apporter un bon appétit, et chacun doit quitter la table quand il s’est restauré ; de la sorte, il est toujours sûr d’être entouré de gens qui font honneur au repas. * Veut-on rendre les hommes heureux, dit-il parfois, il faut « tâcher de leur offrir des jouissances qu’ils ne goûtent jamais « ou qui soient rarement à leur portée »

Comme on retournait au château, un accident imprévu causa quelque émotion à la société. Hersilie avait dit à Félix, qui chevauchait auprès d’elle :

« Voyez là-haut ces fleurs, qui couvrent toute la pente méridionale de la colline ! Elles sont nouvelles pour moi : je ne les connais point. »

Aussitôt Félix poussa son cheval de ce côté, courut au galop, et bientôt on le vit revenir avec une touffe de ces belles fleurs, qu’il agitait de loin, quand tout à coup il disparut avec le cheval : il était tombé dans un fossé. Deux cavaliers se détachèrent de l’escorte, et coururent sur la place.