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heur : « Le malheur, disait-elle, frappe les bons et les méchants ; « c’est un médicament énergique, qui agit sur les humeurs saines « en même temps que sur les mauvaises. » Si nous essayions de découvrir la cause de sa fuite de la maison paternelle : « Le che« vreuil, disait-elle en souriant, n’est pas coupable de fuir. » Lui demandions-nous si elle avait souffert des persécutions : « C’est, « disait-elle, la destinée de maintes jeunes filles de bonne nais« sance, de subir et de supporter des persécutions. Celui qui « pleure pour une offense en essuiera plusieurs. » Mais comment avait-elle pu prendre la résolution d’exposer sa.vie à la brutalité de la multitude, ou du moins d’être quelquefois redevable à sa compassion ? A cette question, elle souriait encore et disait : « Le « pauvre que le riche reçoit à sa table ne manque pas d’esprit. » Un jour que la conversation tournait au badinage, nous lui parlâmes d’amoureux, et nous lui demandâmes si elle ne connais-sait pas le héros transi de sa romance. Je me souviens fort bien que ce mot parut lui percer le cœur : elle me jeta un regard si sérieux et si sévère, qu’il me fut impossible de le soutenir ; et depuis, aussi souvent que l’on parla d’amour, on put s’attendre à voir troublée la grâce de son maintien et la vivacité de son. esprit : à l’instant même, elle se plongeait dans une méditation que nous prenions pour de la rêverie, et qui n’était au fond que de la douleur. Cependant elle se montrait, en général, sereine, mais sans grande vivacité ; noble, sans prétention ; droite, mais non communicative ; réservée, sans timidité ; plutôt patiente que douce, plutôt reconnaissante que sensible aux caresses et aux prévenances ; c’était assurément une personne formée pour conduire une grande maison, et cependant elle ne semblait pas avoir plus de vingt ans.

« C’est ainsf que cette jeune étrangère inexplicable, qui m’avait captivé tout à fait, se montra, pendant deux années qu’il lui plut de séjourner chez nous, pour finir par un trait de folie beaucoup plus bizarre que ses qualités jn’étaient brillantes et respectables. Mon fils, qui est jeune, pourra s’en consoler ; mais moi, je crains d’être assez faible pour la regretter toujours.

« Je vais donc raconter la folie d’une femme sensée, pour montrer que la folie n’est souvent que la raison sous une autre forme. On trouvera sans doute un bizarre contraste entre le