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posséder quelques jours. Quand je vis qu’elle consentait à demeurer, je songeai à lui offrir quelque occupation ; mais, ce premier jour et le suivant, nous ne fîmes que la promener. Elle ne se démentit pas un moment : c’était la raison ornée de toutes les grâces ; son esprit était juste et fin ; sa mémoire était si bien meublée, et son âme si belle, qu’elle excitait fort souvent notre admiration et nous captivait entièrement. D’ailleurs elle savait tout ce que prescrivent les convenances, et les observait si parfaitement avec chacun de nous, non moins qu’avec les amis qui nous visitaient, que nous ne savions plus comment concilier ses singularités avec une pareille éducation.

« Je n’osais véritablement plus lui proposer du service dans ma maison ; ma sœur, à qui elle plaisait fort, croyait aussi devoir ménager la délicatesse de l’inconnue. Elles dirigeaient le ménage ensemble ; cette aimable enfant descendait souvent jusqu’aux travaux manuels, et savait, aussitôt après, se mettre à ce qui exigeait des dispositions et des combinaisons supérieures.

« En peu de temps elle établit dans le château un ordre dont nous n’avions pas eu l’idée jusqu’alors. Elle était habile ménagère. Comme elle s’était d’abord mêlée à notre société et assise à notre table, elle ne s’en retira point par fausse modestie, et continua sans scrupule à manger avec nous ; mais elle ne touchait pas une carte, elle ne se mettait pas au clavecin, avant d’avoir achevé tout son travail.

« Je dois avouer que le sort de cette jeune personne commençait à me toucher profondément. Je plaignais les parents qui probablement sentaient avec douleur l’absence d’une telle fille ; je gémissais que de si douces vertus, de si nombreuses qualités fussent perdues. Elle était chez nous depuis plusieurs mois, et j’espérais que la confiance que nous cherchâmes à lui inspirer ferait échapper enfin son secret de ses lèvres. Si c’était le malheur, nous pouvions la secourir ; si c’était une faute, nous pouvions espérer que notre entremise, notre témoignage, lui obtiendraient le pardon d’une erreur passagère ; mais toutes nos assurances d’amitié, nos prières même, furent inutiles. Remarquait-elle notre désir d’obtenir d’elle une explication, elle se retranchait derrière des maximes générales, pour se justifier sans nous instruire. Si, par exemple, nous parlions de son mal-