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l’effet d’un désespoir d’amour, et, chose assez bizarre, quoique fort ordinaire, en la supposant éprise d’un autre, il devint luimême amoureux d’elle, et craignit qu’elle ne voulût poursuivre sa route. Il ne pouvait quitter des yeux ce beau visage, embelli par les doux reflets de la verdure. Si jamais il exista des nymphes, jamais il ne s’en vit de plus belle couchée sur le gazon ; et ce qu’il y avait de romanesque dans cette rencontre répandait sur l’aventure un charme auquel M. de Revanne ne put résister.

Sans considérer la chose de plus près, il prie la belle inconnue de le suivre dans son château. Elle ne fait aucune difficulté ; elle l’accompagne, et se présente comme une personne accoutumée au grand monde. On sert des rafraîchissements : elle accepte, sans vaine cérémonie, avec une gracieuse civilité. En attendant le dîner, on lui fait voir le château : elle ne remarque rien que ce qui mérite l’attention, dans les meubles, les tableaux, l’heureuse distribution des appartements ; elle trouve une bibliothèque : elle connaît les bons livres, et en parle avec goût et modestie. Nul babil, nul embarras. A table, sa contenance est aussi noble que naturelle, et sa conversation, du ton le plus aimable. Jusque-là tout est raisonnable dans ses discours, et son caractère ne parait pas moins charmant que sa personne.

Après dîner, un badinage la rendit plus agréable encore. S’adressant, avec un sourire, à Mlle de Revanne, elle lui dit qu’elle avait coutume de payer son écot par quelque’travail, et de demander, chaque fois qu’elle manquait d’argent, des aiguilles à ses hôtesses.

« Permettez-moi, ajouta-t-elle, de laisser une fleur sur votre métier à broder, afin qu’à l’avenir, sa vue vous rappelle la pauvre inconnue. »

Mlle de Revanne témoigna son regret de n’avoir aucun ouvrage commencé, et d’être ainsi privée du plaisir d’admirer son habileté. Aussitôt la voyageuse se tourna vers le clavecin.

«Je payerai donc ma dette en monnaie aérienne, dit-elle, comme ce fut autrefois l’usage des ménestrels ambulants. »

Elle essaya l’instrument par quelques préludes, qui annonçaient une main très-exercée. On ne douta plus qu’elle ne fût