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surance de la faveur, de la grâce que vous m’accordez. J’ai déjà souvent sollicité de votre auguste époux un congé et la permission de faire un grand voyage. Celui qui a le bonheur de s’asseoir à votre table, celui à qui vous accordez l’honneur de se mêler aux entretiens de votre cour, doit avoir vu le monde. Les voyageurs affluent ici de toutes parts, et, si l’on parle de quelque ville, de quelque point important du globe, on demande chaque fois à votre serviteur s’il les a visités. On ne croit du bon sens qu’à celui qui a vu tout cela. Il semble qu’on ne doive s’instruire que pour les autres.

— Levez-vous, répéta la princesse. Je n’aimerais pas à former un vœu ou une prière contre la volonté formelle de mon époux ; mais, si je ne me trompe, la raison pour laquelle il vous a gardé jusqu’à présent près de sa personne, n’existera bientôt plus. Son intention était de vous voir devenu un gentilhomme mûr et formé, qui pût faire honneur à lui-même et à son prince en pays étranger, comme vous l’avez fait à la cour jusqu’à présent : or l’action que vous venez de faire serait pour un jeune homme le plus beau passe-port qu’il pût emporter dans le monde. »

La princesse n’eut pas le temps d’observer qu’au lieu d’une joie de jeune homme, une certaine tristesse parut sur le visage d’Honorio, et lui-même il n’eut pas le loisir de donner carrière à ses sentiments, car ils virent une femme, qui tenait un petit garçon par la main, gravir à la hâte la montagne et venir droit à eux. A peine Honorio, recueillant ses esprits, s’était-il levé, que la femme se jeta sur le cadavre en poussant des cris désespérés, et, à cette action, comme à son habit, d’ailleurs propre et décent, mais étrange et bariolé, on reconnut aussitôt la maîtresse et la gardienne de l’animal tué, d’autant plus que l’enfant, aux yeux noirs, aux cheveux noirs, qui tenait une flûte à la main, pleurant comme sa mère, moins violemment, mais profondément ému, se mit à genoux auprès d’elle.

L’explosion soudaine de la passion, chez cette malheureuse femme, fut suivie, par intervalles et soubresauts, d’un torrent de paroles, comme un ruisseau qui se précipite par cascades de rochers en rochers. Son langage naturel, court et entrecoupé, devint pénétrant et pathétique. On essayerait en vain