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Ils rencontrèrent, dans une grande salle du rez-de-chaussée, deux dames, dont l’une dit à Wilhelm, de l’air le plus gracieux :

« Vous trouverez ici peu de monde, mais de bonnes gens. Nous sommes les deux nièces ; ma sœur est l’aînée : elle se nomme Juliette ; je m’appelle Hersilie ; les deux maîtres sont le père et le fils ; ces messieurs, que vous connaissez, sont les officiers et les amis de la maison, dont ils possèdent et méritent toute la confiance. Asseyons-nous. »

Les dames firent asseoir Wilhelm entre elles ; les officiers prirent place aux deux bouts, et Félix de l’autre côté, où il s’établit aussitôt vis-à-vis d’Hersilie, qu’il ne quittait pas des yeux.

La conversation s’était d’abord engagée sur des matières générales ; Hersilie saisit l’occasion de dire :

« Afin que notre hôte ait plus vite fait connaissance avec nous, et puisse entrer dans notre conversation, je dois l’informer que nous lisons beaucoup, et que, par hasard, par goût, peut-être aussi par esprit de contradiction, chacun de nous s’est attaché à une littérature différente. Notre oncle est pour l’italienne ; cette dame-ci n’est point fâchée qu’on la prenne pour une Anglaise accomplie, et moi, je tiens pour les Français, tant qu’ils restent agréables et gais. Le papa bailli fait ses délices des antiquités germaniques, et, comme de juste, le fils doit vouer ses affections à l’Allemagne moderne. C’est là-dessus que vous nous jugerez, que vous prendrez part à nos débats, pour nous approuver ou nous combattre : de toute façon, vous serez le bienvenu. »

Et, en effet, l’entretien devint très-animé. Cependant la direction des regards étincelants du beau Félix n’avait pas échappé à Hersilie ; elle se sentait surprise et flattée, et lui envoyait les meilleurs morceaux, qu’il recevait avec joie et reconnaissance. Mais, au dessert, comme il regardait de son côté, par-dessus une assiette de pommes admirables, elle crut remarquer en elles autant de rivales ; et vite elle en prit une, et l’offrit, à travers la table, à l’amoureux en herbe. Félix s’en saisit avidement, et se mit à la peler aussitôt ; mais, comme il ne cessait de contempler sa belle voisine, il se fit au pouce une coupure profonde. Le sang coula vivement : Hersilie courut à lui, s’empressa de lui donner les soins nécessaires, et, quand elle eut arrêté le sang, elle ferma la blessure avec du papier anglais.