Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
537
LES BONNES FEMMES.
Sinclair.

Faut-il ?

Henriette.

Allez toujours ! »

Henriette prit des mains de Sinclair le portefeuille, en tira les images, étala devant elle, sur la table, les six petites feuilles, les parcourut rapidement du regard, les remuant deçà et delà, comme on fait quand on bat les cartes.

« Excellent ! s’écria-t-elle : voilà ce que j’appelle d’après nature ! Celle-ci, avec la prise de tabac sous le nez, ressemble parfaitement à Mme S...., que nous verrons ce soir ; celle-ci, avec son chat, est assez le portrait de ma grand’tante ; cette autre, qui tient un peloton, a quelque chose de notre vieille marchande de modes. Il se trouve aisément, pour chacune de ces vilaines figures, quelque original, et, pour les hommes, tout de même. J’ai vu quelque part un maître ès arts bossu comme cela, et une sorte de teneur d’écheveau comme ceci. Elles sont fort gaies, ces petites figures, et surtout joliment gravées.

— Comment pouvez-vous, dit tranquillement Amélie, qui jeta sur les images un froid regard, qu’elle détourna aussitôt, comment pouvez-vous chercher là des ressemblances ? Le laid ressemble au laid, comme le beau à ce qui est beau : notre intelligence se détourne de l’un, et l’autre nous attire.

Sinclair.

Mais l’imagination et l’esprit trouvent mieux leur compte à s’occuper du laid que du beau. Du laid, on peut faire beaucoup de choses ; du beau, l’on ne fait rien.

— Mais celui-ci fait quelque chose de nous, et celui-là nous tue, » dit Armidore, qui était à la fenêtre et avait écouté de loin.

Et, sans approcher de la table, il passa dans le cabinet voisin.

Tous les clubs ont leurs phases : l’intérêt que les membres prennent les uns aux autres, les bons rapports des personnes entre elles, sont sujets à la hausse et à la baisse. Notre club est arrivé, dans cette saison d’été, à sa belle période. Les membres sont, pour la plupart, des personnes cultivées, ou du moins modérées et supportables ; elles apprécient mutuellement leurs bonnes qualités, et laissent dans l’ombre les mauvaises, chacun