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la chaise d’ivoire, et, avec des gestes gracieux, elle obligea la belle de s’asseoir ; puis la seconde apporta un voile couleur de feu, dont elle orna plutôt qu’elle ne couvrit la téte de sa maitresse ; la troisième lui présenta la harpe. A peine avait-elle appuyé contre ses genoux le magnifique instrument et tiré des cordes quelques sons, que la première revint, apportant un brillant miroir de forme ronde ; elle se plaça vis-à-vis de la belle, surprit ses regards, et lui montra l’objet le plus admirable qui se pût trouver dans la nature. La douleur relevait sa beauté, le voile ses attraits, la harpe sa grâce, et, bien que l’on espérât de voir changée sa triste situation, on souhaitait de conserver à jamais son image telle qu’on la voyait alors.

Arrêtant sur le miroir un regard tranquille, tantôt elle tirait des cordes quelques notes suaves, tantôt sa douleur semblait s’animer, et les cordes puissantes répondaient à ses transports. Quelquefois sa bouche s’entr’ouvrait pour chanter, mais la voix lui manquait, et bientôt sa douleur se répandit en larmes ; deux jeune filles la recueillirent dans leurs bras, la harpe tombait de ses genoux : l’agile suivante eut à peine le temps de la saisir pour la mettre à l’écart.

« Qui nous amènera l’homme à la lampe, avant le coucher du soleil1 !» chuchota le serpent, mais de manière à être entendu.

Les jeunes filles se regardèrent l’une l’autre, et les larmes du Lis redoublèrent. A ce moment, la femme revint hors d’haleine avec sa corbeille.

  • Je suis perdue et mutilée ! s’écria-t-elle. Voyez, ma main a presque entièrement disparu. Ni le batelier ni le géant n’ont’ voulu me passer, parce que je suis encore débitrice de la rivière. Vainement j’ai offert cent choux et cent oignons, on ne veut que les trois pièces, et je ne puis trouver un artichaut dans les environs.

— Oubliez votre détresse, dit le serpent, et tâchez de nous secourir. Notre salut sera peut-être aussi le vôtre. Courez au plus vite chercher les feux follets ; il fait encore trop clair pour les voir, mais peut-être les entendrez-vous rire et voltiger. S’ils se hâtent, le géant les passera ; ils pourront trouver l’homme à la lampe et nous l’envoyer. «