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jardin du Beau lis. Nous mourons d’impatience de nous jeter à ses pieds.

— Je ne puis vous rendre ce service sur-le-champ, dit le serpent, en poussant un soupir. Le Beau lis demeure, par malheur, de l’autre côté de l’eau.

— De l’autre côté ! Et nous nous faisons passer dans cette nuit orageuse ! Maudite rivière, qui nous sépare ! Ne pourrait-on rappeler le vieux batelier ?

— Ce serait prendre une peine inutile, repondit le serpent : en effet, quand même vous le trouveriez sur cette rive, il ne pourrait vous prendre dans sa barque : il doit passer les gens de ce côté-ci et jamais de l’autre.

— Nous voilà dans de beaux draps ! N’y a-t-il donc pas d’autre moyen de traverser la rivière ?

— Quelques-uns encore, mais non dans ce moment : moimême, je puis passer Vos Seigneuries, mais seulement à midi.

— C’est une heure où nous ne voyageons guère.

— Eh bien, vous pourrez passer, le soir, sur l’ombre du géant.

— Comment cela ?

— Le grand géant, qui ne demeurepas loin d’ici, ne peut rien faire avec son corps ; ses mains ne sauraient soulever un brin de paille, ses épaules, porter un fagot de ramilles ; mais son ombre peut beaucoup ; elle peut tout. C’est pourquoi il n’est jamais plus puissant qu’au lever et au coucher du soleil. On peut donc se mettre, le soir seulement, sur le cou de son ombre ; alors le géant s’approche doucement de la rive, et l’ombre porte le voyageur sur l’autre bord. S’il vous plaît de vous rencontrer à midi à ce coin du bois, où les buissons épais descendent jusqu’à la rive, je pourrai vous passer et vous présenter au Beau lis ; si vous craignez la chaleur de midi, vous n’avez qu’à chercher, vers le soir, le géant dans ce creux de rocher : il se montrera sans doute complaisant. «

Les jeunes seigneurs s’éloignèrent en faisant un léger salut, et le serpent fut charmé d’en être délivré, soit pour jouir de sa lumière, soit pour satisfaire un désir curieux, qui le tourmentait depuis longtemps d’une façon singulière.

Dans les fentes des rochers, où il rampait souvent çà et là, il