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la permission, il me pressa même et m’arracha, en quelque sorte, la promesse de m’abandonner librement et sans scrupule au penchant qui se développerait dans mon cœur. »

La belle fit silence un moment, mais bientôt un regard fort expressif du jeune homme lui donna le courage de continuer ses aveux :

« Mon mari mit une seule condition à une permission d’ailleurs si indulgente. 11 me recommanda la plus grande prudence, et me demanda expressément de choisir un ami sage, posé, sûr et discret. Ëpargnez-moi le reste, monsieur ; épargnez-moi l’embarras que j’aurais à vous dire combien je suis éprise de vous, et devinez par cette marque de confiance mon espoir et mes vœux. »

Après un court silence, l’aimable jeune homme répondit fort posément :

« Combien je vous suis obligé d’une confiance qui me comble d’honneur et de joie ! Je souhaiterais vivement vous convaincre que vous n’avez pas jeté les yeux sur un homme indigne d’une telle faveur. Laissez-moi d’abord vous répondre comme jurisconsulte. En cette qualité, j’avoue que j’admire votre mari d’avoir senti, d’avoir vu si clairement son injustice : car il est certain que l’homme qui abandonne une jeune femme, pour visiter des pays lointains, doit être considéré comme celui qui délaisse absolument une autre propriété, et, par cet acte d’une parfaite évidence, renonce à tout droit sur elle. Or, comme il est permis au premier venu d’occuper une chose devenue ainsi vacante, je dois, à plus forte raison, juger équitable et naturel qu’une dame, qui se trouve en cet état donne une seconde fois son cœur, et se livre sans scrupule à un ami qui lui semble aimable et sûr. Arrive-t-il, comme ici, par surcroit, que le mari lui-même, dans le sentiment de son injustice, permette en termes formels à sa femme abandonnée ce qu’il ne peut lui défendre, il ne reste pas le moindre doute, d’autant qu’on ne fait pas injure à celui qui a déclaré souffrir la chose volontairement.

« Maintenant, poursuivit le jeune homme, avec de tout autres regards, avec une expression passionnée, en prenant la main de sa belle amie, si vous me choisissez pour votre serviteur.