si tard ? Pourquoi n’ai-je apprécié que dans un âge avancé les seuls biens qui puissent rendre l’homme heureux ? Tant de fatigues, tant de périls, que m’ont-ils valu ? Mes magasins sont pleins de marchandises ; mes coffres, d’or et d’argent ; mes armoires, de joyaux et de bijoux ; mais ces biens ne peuvent réjouir ni satisfaire mon cœur. Plus je les entasse, plus ils semblent demander des compagnons : un bijou en appelle un autre, une pièce d’or une autre. Ils ne me reconnaissent point pour le maître ; ils me crient avec menace : « Va, cours, amèncs-en d’autres encore pareils à nous. » L’or n’aime que l’or, le joyau que le joyau. Ils m’ont ainsi gouverné tout le temps de ma vie, et je sens trop tard que tout cela ne me procure aucune jouissance. Hélas ! à présent que les années arrivent, je commence à réfléchir et je me dis : « Tu ne jouis pas de ces « trésors et nul n’en jouira après toi. En as-tu jamais paré « une femme chérie ? Ont-ils servi à l’établissement d’une fille ? « As-tu mis un fils en état d’obtenir et de fixer l’affection d’une « tendre amante ? Jamais ni toi-même, ni aucun des tiens, vous « n’avez joui de tes richesses, et ce que tu as amassé pénibleo ment, après ta mort, un étranger le dissipera dans les plai« sirs. »
« Quelle différence de moi à ces heureux parents qui rassembleront ce soir leurs enfants autour de leur table, loueront leur adresse, les animeront à bien faire ! Quelle joie brillait dans leurs yeux, et quel espoir semblait naître du présent ! Ne pourrais-tu embrasser toi-même aucune espérance ? Es-tu déjà un vieillard ? Ne suffit-il pas que tu reconnaisses ta négligence avant le déclin de tes jours ? Non, à ton âge, ce n’est pas encore une folie de songer au mariage. Avec ta richesse, tu peux trouver une aimable femme et la rendre heureuse ; et, si tu vois encore des enfants dans ta maison, ces fruits tardifs te causeront.les plus grandes jouissances, tandis qu’ils deviennent souvent, pour ceux à qui le ciel les envoie trop tôt, un fardeau et un tourment. »
Après s’être affermi dans sa résolution par ce monologue, il appela deux de ses matelots, et leur découvrit son dessein. Accoutumés à se montrer constamment empressés et prêts à le servir, ils n’y manquèrent pas non plus cette fois, et coururent