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naire prier avec instance, et ils sont importuns quand on se passerait bien de les entendre. J’espère donc faire exception, en vous demandant si vous êtes disposés dans ce moment à entendre une histoire.

— Volontiers, dit la baronne, et je crois que tout le monde sera de mon avis. Mais, si vous voulez nous raconter une histoire par forme d’essai, je vous dirai quelle espèce je n’aime pas. Je ne prends aucun plaisir à ces récits dans lesquels, à la manière des Mille et une Nuits, un événement s’enchevêtre dans l’autre, un intérêt est effacé par l’autre ; où le narrateur se voit contraint d’exciter par une interruption la curiosité, qu’il a éveillée étourdiment, et, au lieu de satisfaire l’attention par un enchaînement raisonnable, est obligé de l’irriter par des artifices bizarres, qui n’ont rien de louable. Je ne puis souffrir que l’on s’efforce de faire des rapsodies embrouillées d’histoires qui doivent se rapprocher de l’unité poétique, et que l’on corrompe le goût de plus en plus. Les sujets de vos récits, je vous en laisse le libre choix ; seulement faites-nous voir, à la forme, que nous sommes en bonne société. Donnez-nous, pour commencer, une histoire où l’on trouve peu de personnages et peu d’événements, bien conçiie et bien pensée, vraie, naturelle, sans être vulgaire ; autant d’action qu’il est indispensable, autant de sentiment qu’il est nécessaire ; qui ne languisse pas, qui ne se meuve pas trop lentement, toujours dans le même cercle, et qui, d’un autre côté, ne précipite point sa marche ; où les hommes se montrent comme on aime à les voir, non point parfaits, mais bons, non point extraordinaires, mais aimables et intéressants. Que votre histoire nous amuse d’un bout à l’autre, que la conclusion nous satisfasse et nous laisse un secret désir d’y rêver encore.

— Si je vous connaissais moins bien, madame, reprit l’ecclésiastique, je croirais que, par ces hautes et sévères exigences, votre intention est de discréditer entièrement mon magasin, avant que j’en aie produit le moindre échantillon. Sur ce pied-là, on pourrait bien rarement yous satisfaire. Même en ce moment, poursuivit-il, après quelque réflexion, vous m’obligez à laisser de côté l’histoire que j’avais dans l’esprit et à la réserver pour une autre fois : et je ne sais pas si, dans ma pré-