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l’air jusque sous la fenêtre, et là, s’exhaler avec une douceur infinie ; il semblait qu’un esprit céleste voulût, par un beau prélude, fixer l’attention sur une mélodie qu’il se disposait à faire entendre. Ces accents s’évanouirent enfin et ne se firent plus entendre, au bout de dix-huit mois que toute cette merveilleuse aventure avait duré.

Le conteur ayant fait silence un moment, les auditeurs commencèrent à exprimer leurs idées et leurs doutes au sujet de cette histoire. Était-elle vraie ? Pouvait-elle être vraie ?

Le vieillard soutint qu’il fallait qu’elle fût vraie pour être intéressante ; à son avis, comme histoire inventée, elle avait peu de mérite.

Quelqu’un fit observer là-dessus qu’il semblait singulier qu’on n’eût pas pris d’informations sur l’ami défunt et sur les circonstances de sa mort : cela aurait fourni peut-être quelques éclaircissements.

« On l’a fait, répondit le vieillard ; j’eus moi-même la curiosité d’aller chez lui, aussitôt après la première apparition, et de prendre un prétexte pour faire une visite à la dame qui lui avait prodigué, dans ses derniers jours, des soins vraiment maternels. Elle me dit que son ami avait nourri pour la chanteuse une passion incroyable ; que, dans les derniers temps de sa vie, il parlait d’elle presque uniquement, et l’avait représentée tour à tour comme un ange et comme un démon. Quand son mal eut empiré, il n’avait eu d’autre désir que de la voir encore une fois avant sa fin : apparemment, dans l’espérance de lui arracher encore une tendre parole, un mot de repentir, ou quelque marque d’amour et d’amitié. Qu’on juge de l’horreur que lui causa cette résistance obstinée. Le dernier refus avait visiblement hâté sa fin. Il s’était écrié, avec désespoir : « Non, elle n’y gagnera « rien. Elle me fuit ; eh bien, après ma mort, je ne lui laisserai « aucun repos. » C’est au milieu de ces transports qu’il expira, et nous ne devions éprouver que trop bien qu’on peut tenir parole même au delà du tombeau. »

La société ayant recommencé à discourir et à raisonner sur cette histoire, Frédéric dit enfin :

« J’ai un soupçon, mais je ne veux pas l’exprimer avant d’à-