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derne, la comparaison des siècles et des hommes ? Où sont les vers charmants qui, si souvent, à la joie de la société, s’échappaient des portefeuilles de nos jeunes personnes ? Où se sont perdues les libres méditations philosophiques ? Est-il évanoui, le plaisir avec lequel vous rapportiez de vos promenades une pierre remarquable, une plante nouvelle pour nous, un insecte rare, nous donnant par là sujet de rêver du moins agréablement à la grande chaîne des êtres ? Que tous ces entretiens, qui s’offraient autrefois d’eux-mêmes, soient rétablis au milieu de nous par une convention, par une résolution, par une loi. Faites tous vos efforts pour être intéressants, utiles, et surtout sociables. Et tout cela, nous en aurons besoin, et bien plus encore que maintenant, quand même tout tomberait dans la dernière confusion. Enfants, le promettez-vous ? » Ils le promirent avec chaleur.

« Eh bien, allez ! La soirée est belle : que chacun en jouisse à sa manière, et, à souper, sachons, pour la première fois depuis longtemps, goûter les douceurs d’une conversation amicale. »

La société se dispersa ; Louise resta seule auprès de sa mère. Elle ne pouvait oublier sitôt le chagrin d’avoir perdu ses compagnes, et elle répondit par un refus, d’une manière fort piquante, à Charles, qui lui proposait une promenade. La mère et la fille étaient restées quelque temps en silence, quand l’ecclésiastique survint. 11 arrivait d’une longue course, et n’avait rien appris de ce qui s’était passé dans la maison. 11 posa son chapeau et sa canne,"prit une chaise, et se disposait à faire quelque récit, quand Louise lui coupa la parole, en disant, comme si elle avait poursuivi un entretien commencé avec sa mère :

« La loi que l’on vient d’établir sera assez incommode pour bien des gens. Autrefois, quand nous étions à la campagne, les sujets de conversation nous ont déjà manqué plus d’une fois : en effet, on n’y entendait pas journellement, comme à la ville, calomnier une pauvre fille, répandre de mauvais bruits sur un jeune homme ; mais, jusqu’à ce jour, on avait du moins la ressource de faire des contes insipides sur deux grandes nations, de trouver ridicules les Allemands et les Français, et de proclamer tel ou tel un clubiste et un jacobin. Si l’on nous inter-