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respectueuse. Mon fiancé le promena dans les montagnes ; il paraissait sérieux, plein desavoir et d’intelligence. Je pris part h leurs conversations sur la morale, dans lesquelles on passa successivement en revue tout ce qui mérite d’occuper l’homme intérieur. 11 remarqua bientôt quelque chose d’incertain dans notre manière de penser en matière de religion. Le langage de la piété était devenu pour nous trivial ; le sens qu’il enveloppe nous avait échappé. 11 nous fit remarquer le danger de notre état ; combien il y avait de péril à s’éloigner de la tradition, à laquelle tant de choses se rattachent dès l’enfance ; le danger était extrême, surtout avec un développement intérieur incomplet. A la vérité, des exercices de piété à jours, à heures fixes, finissent par n’être qu’un passe-temps, et agissent, comme une sorte de police, sur la décence extérieure, mais non plus sur le fond du cœur : le seul remède était de puiser en soi-même des sentiments de la même valeur morale, aussi efficaces, aussi consolants.

« Nos parents avaient arrêté entre eux notre mariage,1 et je ne sais comment il arriva que la présence de ce nouvel hôte avança nos fiançailles. Il semblait désireux d’assister, dans le cercle dela famille, à la confirmation dé notre bonheur ; il dut entendre avec nous comme notre chef spirituel en prit occasion de nous rappeler l’évêque de Laodicée1 et le grand danger de la tiédeur, que l’on prétendait avoir observée chez nous. Nous discourûmes encore quelquefois de ces matières, sur lesquelles il nous laissa un écrit que j’ai eu souvent sujet de relire dans la suite.

« 11 partit, et tous les bons génies semblèrent s’être éloignés avec lui. Ce n’est pas une observation nouvelle, que l’apparition d’un homme distingué dans une société y fait époque, et que sa retraite produit une lacune, dans laquelle pénètre souvent quelque malheur fortuit. Laissez-moi jeter un voile sur la suite ; un accident trancha soudainement, dans la fleur de sa jeunesse, la précieuse vie de mon fiancé ; il employa avec fermeté sa dernière heure à faire bénir son union avec son inconsolable amie, et à m’assurer son héritage. Ce coup fut d’autant plus


1. Apocalypse, chap. m, v. 14-15.