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du verbiage, des figures, des symboles, une phraséologie traditionnelle et des refrains sonores, tournant sans cesse comme autour d’un axe commun. J’en devins plus attentive, et me rendis cette langue si familière, que j’aurais pu, au besoin, prononcer un discours aussi bien qu’un des chefs. D’abord mon ami s’en amusa, enfin le dégoût le rendit impatient, en sorte que, pour l’apaiser, je suivis la route opposée, je l’écoutai luimême avec plus d’attention que jamais, et lui répétai, huit jours après, ses paroles cordiales et sincères, avec une liberté assez égale à la sienne, et dans un esprit peu différent.

« Par là, notre liaison devint toujours plus intime, et ce qui nous unissait, c’était proprement la passion du vrai et du bon, sous quelque forme qu’il se pût reconnaître, et le vif désir de le mettre en pratique.

« En recherchant ce qui a pu vous conduire à provoquer un pareil récit, je vois que c’est la vive description que j’ai faite d’un jour de marché heureusement rempli ; mais qu’elle ne vous surprenne point, car c’était justement la joyeuse et sympathique observation des douces et sublimes scènes de la nature qui faisait, dans nos heures de repos et de loisir, notre plus agréable délassement. D’excellents poètes nationaux avaient éveillé et nourri ce sentiment dans nos âmes ; nous relisions souvent les Alpes de Daller, les Idylles de Gessner, le Printemps de Kleist, et nous aimions à considérer tour à tour, dans la contrée qui nous entourait, ses beautés agréables et ses beautés sublimes.

« J’aime encore à me rappeler avec quelle émulation, et souvent quelle ardeur passionnée, doués tous les deux d’une vue perçante, nous cherchions à nous rendre l’un l’autre attentifs aux grands phénomènes de la terre et du ciel, à nous devancer, à nous surpasser tour à tour. C’était la plus agréable diversion, d’abord aux occupations journalières, puis à ces graves entretiens, qui souvent ne nous faisaient que trop descendre dans le fond de notre âme, et menaçaient d’en troubler la paix.

« Dans ce temps-là, nous reçûmes la visite d’un étranger, qui voyageait vraisemblablement sous un nom emprunté. Nous ne le pressâmes pas de s’expliquer, car il gagna d’abord notre confiance par ses manières. Il montrait en toutes choses une grande pureté morale, et dans nos assemblées une attention